Les Allumettes Jean-Aimé Gaudy-Lefort (1773 - 1850)

<< Au sein de ton paquet grossier,
A côté de la pierre et du briquet d'acier,
Et de cet amadou dont on n'a plus que faire,
Repose en paix, vieille retardataire !
Il est fini ton règne, et c'en était bien temps.
Autre siècle, autre goût ; autre jour, autre mode ;
Nouvelle année et nouveau passetemps.

Invention vraiment inepte et mal commode !
Quelle lenteur! quel attirail !
Quelle manœuvre fatigante !
Pour t'enflammer c'était un long travail.
Tandis que moi, de ma boîte élégante
Je m'élance, et bientôt, émule de l'éclair,
Au moindre frottement, crac ! j'éclate dans l'air.
Vivent donc le progrès et le rail énergique,
Et le wagon rapide et le steamer vainqueur,
L'émeute, le tunnel, le meeting politique,
Le vote universel, la presse à la vapeur...
Et l'allumette phosphorique ! »

Après ce beau discours, auquel avec raison
On dédaigna de faire une réplique,
Survint certain gamin, enfant de la maison,
Etourdi comme on l'est dans la jeune saison,
Qui se voyant tout seul dans la chambrette,
Vite, saisit une allumette ;
Et boîte d'éclater sous sa main indiscrète,
Enflammant avec le rideau
Sa chevelure blondelette.

Plus d'un voisin s'émeut ; au cri sinistre à l'eau !
On accourt, on étoufse une flamme rapide.
Mais, dès le même jour, le maître bien et beau
Proscrivit sans retour la capsule perfide ;
Puis, d'un injuste exil rappela près de lui
L'humble vieille allumette et tout ce qui s'ensuit.
Mieux vaut encor, dit-il, user de patience,
Et risquer quelques coups d'un briquet maladroit,
Qu'avec ces beaux secrets, d'aller courir la chance
De voir incendier son toit.