Le Condor et le Colibri Jean-Auguste Boyer-Nioche (19è siècle)

Comment autour de moi, chétive créature,
Oses-tu voltiger ? dit l'énorme condor
Au colibri. Va loin, il en est temps encor,
Ou tu vas devenir à l'instant ma pâture.
Lâche ennemi ! vois-tu bien cette fleur ?
Elle porte mon nid ; ma famille y sommeille ;
C'est sur son destin que je veille,
Et je saurai pour elle affronter ta fureur.
Ah ! c'est par trop d'audace ! insecte misérable ;
Voyez un peu ce hanneton,
Oser, à moi condor, parler sur un tel ton !
Eh bien ! de mon bec formidable
Le téméraire va juger :
Allons, mettons-nous à manger
Les enfants et le père... Attends, bête farouche,
Je vais te faire voir ce que peut l'oiseau-mouche
Pénétré d'un juste courroux.
A ces mots, comme un trait il fond avec courage
Sur le condor, qui, plein de rage,
En tout sens, pour parer ses coups,.
Fait mouvoir sa lourde machine ;
Mais en vain : sur son col, qui jusques à l'échiné
N'a qu'un duvet pour tout abri,
Vingt fois s'est enfoncé le bec du colibri.
Contre un tel ennemi se voyant sans défense,
L'oiseau de proie, avec grand bruit,
Frappa l'air de son aile immense,
Et s'enfuit.
Mais le colibri le poursuit,
L'atteint, s'attache à son aisselle,
Perce un vaisseau ; son sang goutte à goutte ruisselle.
Il se perd dans la nue ; inutile secours !
Il y porte le mal qui doit finir ses jours.
En effet, par degrés sa force diminue ;
Malgré lui par degrés il abaisse son vol ;
Par le froid de la mort son aile est retenue ;
Il tombe, expire sur le sol
Témoin de sa lâche furie ;
Et son vainqueur revoit sa famille chérie.
Le colibri, par ses nobles efforts,
Lui que dans tout péril un grand courage enflamme,
Nous prouve bien qu'un petit corps
Peut receler une grande âme.

Livre III, fable 11




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