Le Chêne et le Lierre Jean-François Guichard (1731 - 1811)

Un chêne; vieux fils de la terre,
Étendait jusqu'aux cieux ses immenses rameaux.
Autour de lui de jeunes arbrisseaux
En recevaient une ombre tutélaire.
Ambitieux et souple, un lierre
Atteignit insensiblement
Le pied de l'arbre, y prit racine,
Et grandit assez promptement.
Oubliant son humble origine,
O mes pauvres petits voisins,
Disait le fait, que je vous plains !
Je vous fais envie,
Et vous, chétifs, vous me faites pitié.
Que serez-vous toute la vie ?
Arbrisseaux, et rien plus. Allez-vous à moitié
De ce chêne ? Il s'en faut. Moi, j'en touche le faîte...
Le faîte ? Eh ! Je serais déjà,
Sans tous mes tours, au-dessus de sa tête.
Allongeons-nous. Bien ! Très bien ! M'y voilà.
Je lui sers d'ornement, c'est ma verte jeunesse
Qui couvre de son tronc la livide vieillesse.
Le lierre avec cette hauteur
Savourait son nouveau bonheur,
Quand, portant sur l'épaule une tranchante hache,
Un bûcheron s'en vient dans la forêt.
Que rabat-joie ! À frapper il est prêt :
En vain mon orgueilleux de plus belle s'attache ;
Le chêne ébranlé tombe, et le lierre avec lui.

De quelques protégés, qui sont tout aujourd'hui,
Qui n'étaient rien hier, telle est l'ingratitude :
Tel est encor le peu de certitude
À choisir un grand pour appui.

Livre IV, fable 14




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