Le Tilleul un jour dit au Chêne :
Que tu croîs lentement ! tu quittes terre à peine,
Et mon front se perd dans les Cieux ;
Qui croirait qu'un seul jour nous vit naître tous deux ?
Seul confident d'un doux mystère,
Sous mon favorable contour,
Je dérobe aux rayons du jour
La tendre et timide Bergère,
Que sans mon ombre solitaire,
Son Berger poursuivait en vain…
Le rendez-vous du lendemain
Est sous mon ombre salutaire.
Sur mon écorce enfin la tremblante Glycère,
Traçant deux chiffres amoureux,
M'a chargé du beau soin d'éterniser ses feux…
Zéphyre avec mollesse agitant mon feuillage,
Vient mêler son murmure aux voix de mille Oiseaux
Qui bravent dans mon sein le soleil et l'orage.
Il n'est aucun de mes rameaux
Où les amours de ce bocage
N'ayant reçu mille fois un vif et pur hommage…
Ma tête brille au loin ; ce n'est que par mon nom
Qu'on désigne mon voisinage.
Je pourrais bien avec raison
Peut-être en dire davantage ;
Mais je n'aimai jamais à me glorifier :
Sur l'inégalité que la nature sage
En répandant ses dons mit dans notre partage,
Je me garderai d'appuyer.
Tandis que le Tilleul vantait son indulgence,
Le Chêne croissait en silence.
Il poussait insensiblement
Mainte racine profonde
Qui s'étendant à la ronde,
Dans ses fibres largement
Pompaient la sève vagabonde,
Enfin ces grands rameaux obscurcirent les airs.
Le Tilleul cependant, après quelques hivers,
Commençait à courber la tête ;
Le Tilleul n'était déjà plus,
Et le Chêne bravait l'effort de la tempête ;
Sous son feuillage alors par cent jeux ingénus
Les innocents Bergers vont célébrer leur fête.
C'est peu de résister aux vents :
Il résiste à la faux du temps,
Et le vieillard glacé montre avec allégresse
Aux gages fortunés de ses feux expirants,
Le témoin respecté des ans
Qui vit éclore sa tendresse ;
En pleurant sous son ombre il bénit ses enfants,
Les jeunes cœurs, sous cet ombrage,
Se promettent qu'un jour à leur postérité
Ils tiendront à leur tour un semblable langage ;
Par un tendre coup d'œil l'augure est accepté !
Le trépas, du Tilleul emporta la mémoire ;
Le Chêne révéré vit encor dans l'histoire.