Allons, bœuf, et toi, bouvillon !
Aimez-vous mieux, cœurs sans courage,
Toujours provoquer l'aiguillon
Que d’avancer ce labourage ?

Le jour s’en va ; voici le tard,
Et ces maudits n’ont pas en somme
De l'arpent sillonné je quart !
Il faut demain qu’on les assomme. —

Dieu soit loué ! dit le plus vieux ;
Aussi bien ce travail nous tue.
Une mort prompte nous plait mieux
Que votre éternelle charrue.

La méchante au pauvre animal
Attire et menace et piqûre :
Parlez-lui ; je ferais gageure
Que c’est elle ici qui va mal. —

Eh! bien, dit homme, allez, charrue,
Allez donc! N’entendez-vous pas ?
Devant, derrière on s’évertue,
Et vous ne pouvez faire un pas ! —

On se plaint de moi ! Quelle injure !
Répondit-elle en gémissant.
Je vais de mon mieux, je vous jure,
Voyez ce fer obéissant !

Il est poli comme une glace ,
Et brillait moins sous le marteau,
Mais comment emporter morceau
D’un sol si dur et si tenace ? —

Ainsi, champ fatal, c’est donc toi
Que devrait punir ma colère !
Dit le rustre en frappant la terre.
Songe un peu que je suis ton roi !

Pourquoi ces barbares caprices ?
Toujours trempé de mes sueurs,
Tu veux l’être encor de mes pleurs,
Et mon sang ferait tes délices. »

A ces mots, du sein des guérets
Une voix s’élève et lui crie :
« Mets donc un terme à ta furie,
Ou je retire mes bienfaits.

Insensé, tes bœufs, ta charrue,
Ton champ font très bien leur devoir ;
Les défauts qu’en eux tu crois voir,
C’est chez toi qu’ils frappent ma vue.

Tu veux gronder ? Apprends d’abord,
Apprends des experts du village
A bien guider ton attelage,
Et tais-toi, car toi seul as tort. »

Livre III, fable 7




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