Le Laboureur et l'Athée Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Un laboureur, honnête homme et chrétien fidèle,
 Qui s’agenouillait chaque jour
Et croyait bonnement que l’âme est immortelle
Et doit quitter ces lieux pour un autre séjour ;
 Un brave laboureur, vous dis-je,
 Qui ne demandait au Seigneur,
 Pour croire au céleste bonheur,
 Aucun autre prodige
 Que le spectacle radieux

 Que le ciel fait éclore
 Au couchant, à l’aurore,
 Chaque jour sous nos yeux ;
 Un laboureur achevait ses semailles,
Quand il vit arriver au milieu de ses champs
Un soi-disant athée, un de ces sots tranchants
Qui veulent enlacer les autres dans leurs mailles.
L’angelus du midi, dans le même moment,
 Sonnait à l’église voisine ;
Le semeur se signa, puis, fort dévotement,
Se mit à réciter la prière divine.

 — Pourquoi ce signe de la croix ?
Fit le libre penseur en éclatant de rire :
 Est-ce que vraiment tu crois
 À ce que tu viens de dire ?

— Et pourquoi, mon ami, n’y croirais-je donc pas ?
Répondit aussitôt le laboureur modeste.

 — Parce que Dieu, comme le reste,
 Nous embarrasse à chaque pas.

— Cet embarras, pourtant, malheureux incrédule,
N’en existe pas moins quand, pour ne pas le voir,
 Votre esprit fier recule
 Ou se couvre d’un bandeau noir.

— Tout ça ce sont des mots ; à la mort tout s’efface :
Pour la terre on est fait : c’est ici notre place
 Et pas ailleurs.
Le tombeau ne rend pas, tu le sais, sa poussière,
Et la vie en la mort s’engloutit tout entière.

— Revenez dans deux mois ; à vos accents railleurs
 Je crois que je pourrai répondre.

L’incrédule partit : il était généreux.

— Vraiment, se disait-il, ces pauvres malheureux
 Sont bien faciles à confondre.

Il revint au temps dit ; c’était à la moisson.

— Eh bien ! commença-t-il, eh bien ! pieux garçon,
 Je viens chercher votre réponse.

— Interrogez mon champ, c’est lui qui la prononce.

 — Mais je l’écoute en vain.

 — Vous avez vu ce grain.
Je l’ai mis au printemps dans une chaude terre ;
Il a semblé pourrir ; tel ne fut pas son sort :
Un germe plein de vie est sorti de la mort…
Voyez ce champ superbe, expliquez ce mystère.
L’homme est plus qu’un vil grain, vous savez bien cela ;
Comment pouvez-vous donc jamais nommer chimère
Son espoir de sortir d’une tombe éphémère ?…
C’est ma seule réponse ; allez, méditez-la.

Livre II, fable 15




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