Un mari se plaignait, et non pas sans raison,
De ce que sa moitié, bavarde intarissable,
Lui rendait de l'hymen le joug insupportable
Et le forçait souvent à quitter la maison.
Vainement, disait-il, j'ai mis tout en usage,
Pour, chez elle, calmer l'ardeur de discourir ;
Nul moyen, jusqu'ici, n'a pu me réussir ;
Rien n'arrête son bavardage.
Esope le voyant se lamenter ainsi,
Et voulant soulager sa douleur infinie,
Lui raconta la fable que voici :
Un esclave d'Ethiopie,
Par un quidam, fut acheté ;
Celui-ci, d'une erreur follement entêté
Et de sa couleur rembrunie,
N'accusant seulement que sa malpropreté,
Sans plus tarder et sans relâche,
S'imposa la pénible tâche,
De laver l'africain du haut jusques en bas ;
Mais, accablé sous le poids de sa peine,
Sans perdre sa couleur d'ébène,
L'esclave vit bientôt les portes du trépas.

Nul n'a pu se soustraire encore
Aux lois que la nature a su nous imposer ;
Et le vouloir c'est vraiment s'efforcer
De blanchir la tête d'un more.

Livre VI, fable 18




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