Un rat, très maigre et décharné,
Qui se croyait un vrai puits de science,
Parce que, depuis sa naissance,
Il habitait un lieu de vieux livres orné,
Résolut à la fin de changer de demeure ;
Et sitôt seul et silencieusement
Par un trou fort étroit il se glissa sur l'heure
Dans un voisin appartement ;
Or, c'était fort heureusement
Ce que l'art culinaire appelle
L'office, ou bien mieux le serdeau.
Aussi l'on voyait en monceau
Filets de bœuf, longes de veau,
Et des mets recherchés la longue kyrielle.
Notre gaillard s'en donna largement ;
Sa maigreur disparut ; la graisse en prit la place ;
Et ce secours, très-efficace,
Le rétablit entièrement.
De passer là toute sa vie
Et d'y finir ses jours tranquillement,
Loin des jaloux et de l'envie,
Fut un parti pris à l'instant.
Mons raton reconnut sans peine
Que la science ne nourrit
Que l'esprit ;
Et que, pour vivre la centaine,
La route, au moins la plus certaine,
C'est de contenter l'appétit.
Il est sûr, qu'en cette occurrence,
Le lard frais et les aloyaux
Valent bien mieux que la science
Pour couvrir de graisse les os.
Mais un jour que, la panse pleine,
Il reposait paisiblement,
Une rumeur vive et soudaine
Le réveilla subitement.
Il crut alors que la prudence
Voulait qu'il s'en allât comme il était venu :
Il courut donc au trou ; mais, ô double souffrance !
L'énorme grosseur de sa panse
Ne put passer par un trou si menu.
Une très-méchante araignée,
Témoin de son triste embarras,
Lui dit, en ricanant tout bas,
Et d'une voix grognante et refrognée :
Celui qui, sans raison, ne songe qu'au présent,
Dans l'avenir tôt ou tard se répent..