Dans une voiture publique
On rencontre ordinairement
Un assemblage incohérent,
Parfois triste, parfois comique ;
Chacun y va pour son argent,
Trop heureux si dans la chambrée
Ne siège pas, pour compagnon,
Quelque gros marchand de marée
Portant avec lui son poisson,
Qui tout en vous forçant à boucher vos narines,
Est encore assez éhonté
Pour vous vanter la qualité
Et la fraîcheur de ses sardines.
Mais pourquoi m'arrêter à citer parcil trait ?
Ce n'est point ce que je veux dire :
Mon projet n'est pas de médire,
Et voici quel est mon sujet.
Placés dans une diligence,
Après n'avoir rien dit d'abord,
Des voyageurs rompirent le silence.
Voilà que d'un commun accord
Ils parlent contre la voiture ;
Les uns disent Elle est trop dure,
Il faut qu'on change les ressorts ;
Les autres Les essieux ne sont pas assez forts ;
Elle est trop haute ; elle est trop basse ;
Difficilement on s'y place ;
Il faut qu'on allonge les traits ;
Peut-on voir pareil attelage ?
De tels chevaux n'arriveront jamais ;
Avant d'être rendus, nous verserons, je gage.
C'était à qui mieux mieux ; et jusques au- plus sot,
Tous disaient là-dessus leur mot.
Au milieu de ce verbiage
Notre voiture allait son train.
Le conducteur, assez malin,
Écoutant leur beau langage,
Sous son bonnet riait de l'entretien,
Et tapis dans son coin, ne leur répondait rien.
A l'arrivée il rompit le silence.
Enfin, dit-il, grâce à la Providence,
Notre voyage est fait, malgré tous vos propos
Sur la voiture et les chevaux.
D'un État ce récit nous présente l'emblème ;
Lorsqu'en dépit de tout discours malin
Il va toujours droit son chemin,
Au but qu'il se propose il arrive de même.