Un certain misanthrope, entrant chez un sculpteur,
Y voit un bas-relief représentant les vices :
Voilà, dit-il, les dieux dont on suit les caprices !
Ce spectacle a bientôt révolté son humeur ;
Il s'écrie, en voyant la noire Calomnie,
L'Égoïsme et l'Orgueil, l'Avarice et l'Envie :
Fuyez, monstres, fuyez, vous me faites horreur !
C'est vous qui des mortels avez flétri le cœur.
Tandis qu'à déclamer il se met hors d'haleine,
Tu perds, lui dit quelqu'un, et ton temps et ta peine ;
Ce marbre est insensible, il est sourd à ta voix ;
En vain pour haranguer tu te mets aux abois ;
A l'homme fais plutôt entendre ton langage.
Tu peux, avec succès, lui peindre les malheurs
Que produit ici bas la licence des mœurs ;
Mais de prêcher un bloc ce n'est pas être sage.
Ah ! de grâce, dis- moi, repartit l'orateur,
Toi qui viens m'interrompre avec l'air d'un censeur,
Et qui sans doute crois me parler à merveille,
L'homme, pour m'écouter, aura-t-il plus d'oreille ?
En doutant de l'effet qu'eût produit son sermon,
L'orateur, à mon sens, était plein de raison ;
Car nous avons beau voir la scène et la satire
Fronder tous nos travers, nous ne faisons qu'en rire.
La fable n'obtient pas un succès plus heureux ;
Elle présente en vain son miroir à nos yeux :
L'amour-propre et l'orgueil les couvrent d'un nuage,
Nous n'y pouvons jamais distinguer notre image.
Que conclure de là ? Doit-on avec courroux
Traiter sévèrement tous les hommes de
Laissons à ce sujet les censeurs se morfondre ;
Pour nous rendre meilleurs il faudrait nous refondre :
Comme un pareil remède est pire que le mal,
Que bien loin de guérir, il tûrait l'animal ;
Sans vouloir nous piquer d'une fausse sagesse,
Sachons qu'aucun de nous n'est exempt de défauts ;
Ils nous sont inhérens ; ils tiennent à l'espèce.
Il faut céder, hélas ! au destin qui nous presse,
Porter, sans murmurer, son paquet sur son dos,
Et ne point, en voulant faire les bons apôtres,
Mettre, pour s'alléger, son paquet sur les autres.
C'est ce que nous voyons cependant tous les jours ;
Mais crainte d'ennuyer, terminons ce discours.