L'Opulence et l'Honneur Joseph Reyre (1735 - 1812)

Pauvre, mal mis et tout crotté,
Avec sa sœur la Probité
L'Honneur dans un lieu solitaire
Se promenait pour se distraire,
Lorsque dans un grand char doré,
Dont le cocher s'était par hasard égaré,
Il vit tout à coup l'Opulence,
Qu'accompagnaient le Luxe et la Magnificence.
La dame, à qui l'Honneur n'était pas inconnu,
Et qui souvent chez elle autrefois l'avait vu,
Voulut renouveler d'abord la connaissance,
S'imaginant avec raison
Qu'elle s'honorerait par cette liaison.
Elle ne craint donc pas de faire les avances ;
Et sur le sort du malheureux
Faisant de grandes doléances,
Elle lui dit d'un ton piteux :
Quoi! c'est vous que je trouve en proie à la misère !
Vous qui devriez briller dans un rang glorieux,
Vous languissez dans la poussière !
J'ai peine à concevoir l'état où je vous vois.
Mais montez sur ce char, et venez avec moi ;
Je saurai du destin réparer l'injustice,
Et vous faire éprouver un heureux changement.
Je sens, lui dit l'Honneur, tout le prix du service
Que vous daignez m'offrir si généreusement.
Avec un vif empressement
Je devrais l'accepter, ce semble :
Mais il faut du public craindre les jugements;
Et ce public malin dit depuis quelque temps,
Que nous ne pouvons guère aller tous deux ensemble.
Or j'aime mieux rester à pied,
Que d'être dans un char et me voir décrié.
Apprenez, mes enfants, en lisant cette fable,
Que l'honneur seul vaut mieux que tous les autres biens,
Et qu'on doit préférer ce bien inestimable
A tous ceux qu'on acquiert par d'injustes moyens.

Livre I, fable 7




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