Le Père, le jeune Homme, et le Cheval Joseph Reyre (1735 - 1812)

Pour complaire à son fils, un riche financier
Lui fit un jour présent d'un superbe coursier,
Qui dressé parles soins d'un écuyer habile,
Malgré son naturel ardent,
Etait devenu doux, tranquille,
Et surtout bien obéissant.
Aussi lorsque ce tendre père
A son fils vint le présenter :
Mon enfant, lui dit-il, vous pouvez le monter
Sans craindre aucun écart. Pour l'empêcher d'en faire
J'ai d'abord eu grand soin de le faire dompter.
Mais comme il pourrait bien se laisser emporter
Par l'ardeur de son caractère,
Pour en être plus sûr, tenez bien bride en main.
Le jeune homme suivit cet avis salutaire,
Et son coursier fougueux, contenu par le frein,
Ne fit pas la moindre incartade.
Mais un jour qu'à la promenade
Sans bride il osa le mener,
Sentant que l'on avait cessé de le gêner,
Le cheval bondit, caracole,
Regimbe, fait la cabriole,
Et se met à courir tout à travers les champs.
Le jeune homme perdant la tête,
Cria d'abord : Arrête ! arrête !
Mais ses cris furent impuissants :
Le cheval fit toujours les mêmes mouvements,
Et notre cavalier fit enfin la culbute.
Aussitôt qu'il se fut relevé de sa chute,
Il vint à la maison conter son piteux cas.
Cet accident m'afflige et ne me surprend pas,
Lui dit en l'entendant son tendre et sage père.
Votre cheval n'a fait que ce qu'il devait faire :
Dès que vous n'aviez rien qui pût le contenir,
11 devait librement suivre son caractère,
Et ne chercher que son plaisir.

L'homme lui-même agit ainsi pour l'ordinaire,
Lorsqu'il est dépourvu du secours salutaire
Qu'on trouve dans le frein de la Religion.
Alors n'étant guidé que par la passion,
II n'a plus qu'un seul but, c'est de se satisfaire.
Pour le porter au bien et l'éloigner du mal,
Ce frein à notre cœur est aussi nécessaire
Que la bride l'est au cheval.

Livre I, fable 6




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