Les Oranges Joseph Reyre (1735 - 1812)

Un habitant des bords du Tage
Avait un fils que sa douceur,
Son esprit, sa beauté, sou aimable candeur
Rendaient le phénix de son âge,
Mais il fréquentait, par malheur,
Des amis dont l'exemple et l'entretien peu sage
Auraient pu corrompre son cœur.
Le père en fut instruit, et vit avec douleur
Le risque que couraient ses mœurs, son innocence.
11 lui donne d'abord les plus sages avis,
Lui peint les maux que peut causer son imprudence,
Et l'exhorte à quitter ces compagnons chéris.
Mais pourquoi, dit l'enfant, faut-il que je les quitte ?
Papa, vous pensez trop mal d'eux;
Ils sont sages et vertueux;
Et s'ils ne l'étaient pas, par ma sage conduite
Je saurais bien les corriger.
Le père, qui sentit encor mieux le danger
Où l'exposait sa confiance,
Feint d'être rassuré, garde un profond silence.
Mais tandis que l'enfant était loin du logis,
Il remplit un panier d'oranges bien choisies,
En mêle tout au plus deux ou trois de pourries,
Et fait, à son retour, ce présent à son fils.
Le marmot, empressé, le prend, le considère ;
Mais à peine a-t-il vu : — Qu'avez-vous fait, mon père ?
Quoi ! parmi des fruits sains mêler des fruits gâtés !
— Ne craignez rien, mon fils, laissez-moi faire;
Des bons la vertu salutaire
Corrigera bientôt ceux qui sont infectés.
— Ah ! je prévois tout le contraire ;
Ceux qui sont corrompus corrompront tous les bons.
— Ne craignez rien, YOUS dis-je; ou du moins attendons ;
Et pour pouvoir juger qui de nous prend le change,
Laissons ces fruits mêlés, ensuite nous verrons
Ce qu'aura produit ce mélange.
Le fils consent à tout ; on ferme le panier.
Cinq ou six jours après on en fait l'ouverture;
Mais ce n'était, hélas! qu'un tas de pourriture.
Je l'avois bien prévu, dit alors l'écolier.
Ah ! pourquoi n'avoir point, papa, daigné vous rendre
A l'avis que je proposais ?
Et vous, mon fils, reprit le père tendre,
Pourquoi si longtemps vous défendre
Des conseils que je vous donnois,
Lorsque je m'attachois à vous faire comprendre
Que si vous fréquentiez des amis vicieux,
Vous le seriez bientôt comme eux ?
De ce malheur ces fruits vous présentent l'image ;
Les mauvais ont gâté les bons.
Puissent-ils vous rendre plus sage !
Puissent-ils vous apprendre à fuir les liaisons
Qui pourroient de vos moeurs corrompre l'innocence !
L'enfant fit son profit de cette remontrance.
Convaincu du danger il ne le brava plus,
Et quitta pour toujours les amis dissolus
Qui l'auraient tôt ou tard entraîné dans l'abîme.

C'est pour vous, jeunes gens, que j'ai fait ce récit.
Que cette importante maxime,
Toujours présente à votre esprit,
Dans le choix des amis en tout temps vous dirige.
Le commerce des bons rarement nous corrige,
Mais celui des médians toujours nous pervertit.

Livre I, fable 8




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