Le regret d'avoir fait le mal,
Quoique tardif, n'en est pas moins sincère ;
Rendons cette vérité claire
En citant un trait sans égal.
Un Renard, bien plus fin que ses rusés confrères,
Était ministre d'un lion :
Nul n'entendait aussi bien les affaires ;
Il parlait comme Cicéron ;
Mais le pouvoir (quel être n'en abuse !)
Lui fit commettre lâchement
Des traits d'iniquité que toujours on excuse,
Quand leur auteur est un homme puissant.
Jeune, l'ambition tourmente et nous égare :
De nos erreurs, c'est la saison ;
Vieux, on réfléchit, on compare
Et l'on écoute la raison.
Examinant sa conscience,
S'interrogeant avec sévérité :
« Je n'ai plus, dit-il, l'espérance
De réparer mes torts ; disons la vérité
Au roi qui m'a choisi pour être son organe,
Et qu'en ce jour mon repentir,
Quand moi-même je me condamne,
Instruise un souverain que chacun doit chérir.
Je vais terminer ma carrière :
Découvrons-lui tous les abus,
Faisons briller à ses yeux la lumière,
Et montrons en mourant au moins quelques vertus. »
Sire Lion voyait avec tristesse
L'état du moribond que son cœur regrettait ;
Tous les jours il le visitait ,
Et lui marquait la plus vive tendresse.
De sa perte il était vraiment au désespoir.
Il vint à son heure dernière ;
Et le Renard, d'un ton bien fait pour émouvoir,
Lui dit, ouvrant sa mourante paupière :
« Je vous aimai toujours avec sincérité.
J'ai peut-être affermi, sire, votre puissance ;
Mais j'ai joui de la célébrité
Quand les remords troublaient ma conscience.
Vous n'avez vu que par mes yeux :
Et quand je commettais une grande injustice
Par intérêt, passion ou caprice,
Pour me punir je n'avais que les Dieux.
Pour triompher de sa moitié fidèle
J'ai fait enfermer un mari :
Il était innocent, mais sa femme était belle,
Et mon crime fut impuni.
En vain sa famille sans cesse
Parlait de s'adresser au roi ;
Sa femme devint ma maitresse,
Et fut coupable autant que moi ;
Il expira captif; et je vous le confesse,
Ils sont trop étendus les droits
Que l'être en place exerce en votre empire :
Souvent il en abuse, et fait taire les lois.
La raison et l'équité, sire,
Se font entendre aujourd'hui par ma voix.
A votre peuple il faut chercher à plaire :
Et quand il prodigue son sang
Pour un souverain qu'il révère,
Assurez son honneur, sa fortune et son rang ,
Et votre nom vanté sera chéri sur terre.
Tout despote nous fait horreur :
Un roi jamais ne doit chercher à l'être.
C'est en régnant par la douceur
Qu'il est sans crainte et qu'il est maître.
Par un abus d'autorité,
Sire, ne souffrez pas qu'un ministre sévisse
Contre un de vos sujets ; quand de la liberté
Un roi veut le priver, sans doute la justice
Crie au fond de son cœur : - Cherche la vérité ! --
Il ne saurait vouloir qu'à tort on le punisse.
C'est au sénat que l'on doit déférer
Le droit d'interroger celui que l'on accuse ;
Lui seul est fait pour éclairer
Le souverain que l'on abuse.
Plus d'une fois j'ai donné dans l'erreur.
Pour satisfaire ma vengeance,
Contre la timide innocence,
J'ai souscrit des arrêts qui révoltaient mon cœur.
Qu'arrivait-il ? dans un mémoire
Qu'elle vous faisait parvenir,
Elle exposait mon crime et le rendait notoire :
Mais l'écrit présenté devant me revenir,
Je m'en montrais plus fier, sans craindre pour ma gloire.
« On est trop injuste ici-bas
Pour permettre qu'un seul condamne son semblable.
Le peuple avec transport volera sur vos pas ,
Quand vous aurez détruit cet abus détestable.
Vous aimez vos sujets : ils sont tous vos enfants ;
Avec eux, ô mon roi, comportez-vous en père ;
Qu'à votre aspect leurs cris retentissants
Soient votre éloge sur la terre.
Je m'accuse en ce jour et vous ouvre mon cœur :
Heureux si mon aveu sincère
Contribue à votre bonheur,
Et si mon repentir vous touche et vous éclaire !
Ma fin s'approche, je le sens.
Hélas ! je vous peindrais encore
Bien des abus sans cesse renaissants...
La force m'abandonne : au mal qui me dévore,
Sire, je vois qu'il n'est plus temps.
Si vous me pardonnez, ô généreux monarque,
Toujours équitable et si grand ,
Sans murmurer des coups de la fatale Parque,
Je périrai moins mécontent ! »
D'après ce qu'il venait d'entendre,
Le Lion étonné laissa couler des pleurs,
Et de l'absoudre il ne put se défendre.
Le Renard, entr'ouvrant un œil humide et tendre,
Ne lui dit que ces mots : « Vivez heureux ! je meurs. »

Livre II, fable 10




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