Deux coursiers attelés au char le plus brillant
S'entretenaient à leur manière
Devant la porte d'un traitant,
En attendant leur maître et s'impatientant ;
La chose paraît assez claire :
Tous deux étaient au service d'un grand,
Ces messieurs ne se gênent guère.
Un brouetteur vint à passer,
Traînant cette roulante échoppe
Que par derrière un tiers mal vêtu vient pousser,
Dans laquelle jamais Crésus ne s'enveloppe,
Si ce n'est cependant pour certain rendez-vous :
Car cette voiture d'usage,
Pour tromper les argus et surtout les jaloux,
Est préférable au plus leste équipage.
« Lorsque nous nous plaignons du sort
Et d'attendre ainsi dans la rue,
Convenons-en, dit l'un, ma foi, nous avons tort.
Vois-tu ce malheureux, regarde : comme il sue !...
Si nous sommes formés pour les plus durs travaux,
Nous avons la force en partage
Et ne traînons pas nos égaux.
Dans tout ce qu'elle fait la nature est bien sage.
Cet homme est moins heureux que nous ;
Nous sommes bien nourris : la meilleure litière
Nous procure un sommeil très -doux ;
Pour enlever cette poussière
Qui s'incorpore et nuit à la santé,
On nous conduit à la rivière ;
Et par extrême propreté
On nous fait chaque jour toilette régulière. »
Lui, peut-être, rentrant le soir,
Est las, apeugagné, pleure, se désespère
Et se nourrit de pain fort noir :
Va, consolons-nous, mon confrère ?
Chez les humains la peine est pour l'infortuné,
Et le plaisir est pour le riche ;
Chez nous le vrai malheur est d'être gouverné
Par un cocher brutal, ivrogne, ou qui nous triche.

Livre II, fable 6




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