L'Arbre sec et l’Arbre dépouillé par l'automne Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Deux arbres s’élevaient au milieu d’une plaine,
Tristes et dénudés, car de leur froide baleine
 Les bises de l’hiver
Avaient déjà flétri le chaume et le bocage.
L’un des deux, toutefois, pour perdre son feuillage,
N’avait pas attendu l’automne. Un petit ver,
En le mordant au cœur, avait gâté sa sève.
Quand le cœur est atteint, la vie, hélas ! achève.

Ses rameaux sans vigueur séchèrent tour à tour
 Sans retour,
Les plus hauts les premiers ; car il faut de la force
 Sous l’écorce
Pour faire reverdir les branches du sommet,
 Comme il faut de la flamme
 Dans notre âme
Pour nourrir les vertus que le Seigneur y met.

Cet arbre malheureux voyait avec envie
Son ancien compagnon auprès de lui fleurir,
Mais il gardait le ver qui le faisait périr.

— Quand l’automne viendra, sur sa cime flétrie
Pas plus, se disait-il, que sur mes vieux rameaux
Ne se réuniront les gais petits oiseaux ;
 Oui, quand viendra l’automne,
 Il perdra sa couronne
Et vers le sol jauni penchera son front nu ;
 Et ceux-là qui l’auront connu,
 En le voyant, pourront sourire.

 En effet, l’hiver arriva ;
 Puis l’arbre sec se prit encore à dire :

— Va,
Je le savais bien, moi, que tu serais superbe !…
Mais, non, tu n’es pas beau : ta couronne est dans l’herbe
 Il ne t’en reste rien.
 C’est dommage,
 Car tu la portais bien,
 Je t’en rends témoignage.

— Garde tes durs propos, avait dit le voisin,
 Je me repose ;
Le sommeil et la mort ne sont pas même chose ;
 Attends la fin.

Quand revint le printemps avec les tièdes brises,
 Que le soleil sourit,
 L’un fleurit
Et l’autre s’affaissa sous ses écorces grises.

Dans la tombe, c’est vrai, l’homme à l’homme est pareil,
Et le méchant, trompé, réclame la victoire.
Il sera dans la honte et le bon, dans la gloire,
 Au grand jour du réveil.

Livre I, fable 15




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