Une araignée, un jour, lasse d’être accroupie
Dans son filet léger,
Se mit à voyager.
C’était le seul moyen de jouir de la vie,
Le plus noble du moins,
Se disait-elle,
Et quelque bagatelle
Lui suffirait pour ses besoins.
Elle partit se glissant jusqu’à terre
Au moyen de son fil qui s’allongeait toujours :
— Oh ! que le monde est grand ! l’immensité m’atterre ! —
Reprit-elle en touchant le tapis de velours
D’une chambre fort bien meublée —
Je suis brave pourtant et je me sens troublée…
Mais n’importe, avançons ! ajouta-t-elle encor.
Et la voilà partie. Elle trotte sans cesse ;
Elle monte et descend, se trémousse et s’empresse,
Touche à tout : aux plaqués, aux faïences, à l’or,
Sans accident jamais ni rencontre fâcheuse.
Mais il n’est ici bas de bonheur si constant
Qu’il ne soit, à la fin, rompu pour un instant,
Et notre voyageuse
Glissa dans un vase profond.
Elle crut, tout d’abord, qu’elle pourrait sans peine
Sortir, d’un bond,
De ce vase de porcelaine.
Ses pattes ne mordirent pas
Sur la paroi polie.
Elle vit sa folie,
Mais cela ne pouvait la tirer d’embarras.
Le hasard fit descendre auprès d’elle une mouche.
— Sauve-moi, lui dit-elle, et que mon sort te touche,
Nous ferons amitié ;
J’ai fameuse mémoire
Et je me ferai gloire
De chanter ta pitié.
La mouche qui n’est pas, après tout, fort méchante,
Bien qu’elle chante
En nous piquant,
Prend la captive en croupe
Et, se moquant
Des hauteurs de la coupe,
L’emporte, d’un coup d’aile, assez loin du danger.
On se sépare alors, mais non sans échanger
Une bonne parole.
La voyageuse trotte et la mouche s’envole.
À quelque temps de là, tout en l’air, dans un coin,
Une araignée, au milieu de sa toile,
Épiait avec soin,
Comme à travers un voile,
Les mouches de l’appartement,
Et tout à coup, bonne fortune !
Elle en vit une
Qui s’engageait imprudemment
Et s’empêtrait dans son fil traître.
— Tu vas servir à me repaître,
Dit-elle avec aigreur.
La mouche eut peur
Mais elle retrouva bientôt son assurance :
— Mon amie, à ton tour,
Dit-elle, rends-moi l’espérance !
C’est moi qui, l’autre jour,
T’ai sauvé l’existence,
Lorsque ton imprudence
T’avait précipitée au fond d’un vase creux.
Mon cœur fut généreux,
Le tien ne l’est pas moins, oh ! non, j’en suis bien sûre.
L’araignée écoutait. Soudain
Elle lui fit une morsure
Et dit :
« J’ai faim ! »
La faim est la complice
De beaucoup de forfaits ;
Elle fait taire la justice
Et fait oublier les bienfaits.