La Cruche Léon Riffard (1829 - ?)

Sur la tête, une cruche pleine,
Jeanneton, droite comme un I,
Un bras ballant, l'autre arrondi,
S'en revenait de la fontaine.
Il était midi. Quel soleil !
Pas une ombre, pas une haleine !
Tout était brûlé dans la plaine.
Seul, au milieu du blé vermeil,
Comme en un cadre non pareil,
Riait, dans la clarté sereine,
Le vert massif de la fontaine.
Et Jeanneton, à petits pas,
Au travers des moissons avides
Allait, portant pour le repas
Son vase en grès, aux flancs humides.
Les coquelicots, les bleuets,
En voyant passer la fillette,
Se disaient entre eux, les pauvrets !
« C'est de l'eau qu'elle a sur la tête.
Il en faudrait peu, presque pas !
Pour calmer notre soif ardente.
Une goutte suffit, hélas !
A sauver une fleur mourante.
Et la cruelle passe ainsi,
Sans broncher, sans tourner la tête.
De nous elle n'a pas souci,
A moins que ce ne soit pour fleurir sa toilette,
Vienne dimanche ou jour de fête. »
Un glaïeul, à moitié flétri,
Plus malade, ou bien plus hardi,
Lui dit enfin dans son langage :
« Avant de rentrer au village,
O mignonne, laisse tomber,
Par le goulot de cette jarre,
Un peu d'eau. Ne sois pas avare :
Tu vois, nous allons succomber.
D'ailleurs, tu n'auras pas la peine
De retourner à la fontaine.
Rien qu'un peu, pitié! presque rien.
Et ta cruche restera pleine. »
Jeanneton le comprenait bien ;
Car, enfant, en gardant les vaches,
Au bord des blés, sur les talus
Pleins de mauves et de bourraches,
Elle avait deviné le langage confus
Que les fleurs, laides comme belles,
Dans leurs hymens, dans leurs querelles,
La brise aidant, se chuchotent entre elles.
Mais elle était pressée et ne s'arrêtait pas.
Un chardon, indigné, se lève dans la sente
Sous les pieds nus de la méchante.
Piquée, elle fait un faux pas,
Et patatras !...
La cruche glisse, quel déboire !
Tombe, se casse, échappée à la main,
Et l'eau coule à long flots. L'autre chante victoire :
« Ah ! tu ne voulais pas, dit-il, nous laisser boire.
Eh bien ! vois, à tes frais nous allons prendre un bain,

Nous sommes tous pressés, plus ou moins, dans la vie.
Par des chemins plus ou moins doux,
Sur la tête nous portons tous,
Qu'on nous plaigne ou qu'on nous envie,
Une cruche fragile, hélas !
Qui peut glisser à chaque pas :
C'est celle de nos jours. Cependant qu'elle est pleine,
Sachons à l'appel du malheur
Nous arrêter, s'il faut, un instant dans la plaine.
- Oui, mais le temps perdu, mon intérêt !- Erreur
Pauvres calculs que ceux de la prudence humaine !
L'inspiration de ton cœur
Est encore la plus certaine.

Livre I, Fable 1




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