Dans un riche salon, vieux style, meuble rare,
Un cartel appendu, non loin d'une guitare,
Au trumeau d'une glace, à la place d'honneur,
Disait à l'instrument, en son tic-tac moqueur :
« A quoi sers-tu ? Quelle est ton importance ?
Tes flancs ne manquent pas d'ampleur, ni d'élégance,
Mais ils sont creux. Regarde-moi,
Et tu verras la différence.
Non, je ne crois pas, sur ma foi !
Que jamais l'industrie humaine
Ait réalisé rien, en fait de phénomène,
Qui puisse soutenir quelque comparaison
Avec un cartel suisse et de bonne maison !
J'indique chaque lunaison
Et jusqu'au jour de la semaine.
On n'imagine pas, ma chère, les ressorts,
Les tenons, les crans, les rouages,
Les chaînes et les assemblages,
Dont l'homme, en me créant, sut animer mon corps.
Car ce merveilleux mécanisme,
Qui bat comme le cœur, le cœur, divin travail !
N'est-il pas, à vrai dire, un vivant organisme,
Avec un visage en émail ?
Et quelle mission, quel rôle !
Toute la maisonnée est soumise à ma loi :
Repos, promenades, école,
C'est moi qui règle tout. J'ordonne, je contrôle,
Et rien ne se fait sans moi.
La nuit même, ma sonnerie
Ne permet pas que l'on m'oublie.
Que de fois, en frappant l'ouïe
Du dormeur qui s'agite au moment du réveil,
Captivé par sa rêverie,
Elle dissipe le sommeil
Mieux que le chant du coq, qui n'est que vieillerie.
Et souvent, sans pitié pour vos amusements,
Etant l'ennemi né de tous les passe-temps,
J'ai dû mettre fin à tes chants !
- Barbare,
Murmura tout bas la guitare,
Tu te vantes de tes rigueurs
Comme d'un service rare,
Et m'en veux d'y mêler parfois quelques douceurs !
Abrégeant les plaisirs, allongeant les douleurs,
Tu fais le plus cruel des métiers. Que de pleurs
Le moindre de tes pas en avant, la seconde !
Fait couler partout à la ronde !
Et pour combien, hélas ! elle sonne la mort.
Va, je n'admire pas ton sort.
Te voilà dans cette demeure
Comme moi, depuis deux cents ans.
As-tu rendu ses habitants
Plus contents ?
Sans trêve, ni pitié, tu comptes leurs instants,
Implacable valet de ce bourreau, le Temps !
Chaque fois que tes tintements
Font, malgré moi, vibrer mes flancs,
Je crois entendre un glas qui pleure !
Tu gâtes le plaisir de tous ces braves gens
Avec tes avertissements :
Moi, je leur fais oublier l'heure.