Au fond de son charnier, ou si vous aimez mieux
Que je m'exprime avec noblesse,
Au fond de son palais, un Lion déjà vieux,
Du Lionceau son fils instruisait la jeunesse.
Mon fils, lui disait-il, je règne dans les bois ;
Et bientôt, grâce à ta naissance,
Héritier de mon nom, ainsi que de mes droits,
Tu le seras de ma puissance.
Pour la consolider, ne la compromets pas.
De tous les animaux l'Homme se dit le maître :
Il est fin ; évite ses pas,
Avec lui crains de te commettre.
Le Lionceau bouillant d'ardeur,
N'écoutait qu'à regret les avis de son père ;
Déjà même, au fond de son cœur,
Il roulait le projet, (cet âge est téméraire),
D'attaquer l'ennemi dont on lui faisait peur.
Impatient, il sort de la forêt obscure
Qui lui servait d'asyle et qui fut son berceau ;
Et dès le point du jour, Don Quichotte nouveau,
Il va courir le monde et chercher aventure.
Au détour d'un vallon, notre Lion errant
Voit un taureau, l'accoste, et d'un ton arrogant :
Réponds-moi, lui dit-il, est-ce toi que l'on nomme
L'Homme ?
— Non ; mais il me gouverne, et son pouvair est grand :
Il me soumit au joug, et pour lui je laboure.
— Parle : pour le trouver où faut-il que je coure ?
J'ai deux mots à lui dire, et je suis fort pressé.
— Tu ne tarderas pas à le voir, que je pense ;
Marche dans ce sentier, que lui-même a tracé.
Ces lieux sont pleins de sa présence.
Le Lionceau s'éloigne ; et suivant, son chemin,
Un autre objet l'arrête : il voit, au sein de l'herbe,
Courir, caracoler, un animal superbe.
Il s'en approche avec dédain,
Le mesure de l'œil, et lui dit : je te somme
De me répondre, es-tu mon rival, es-tu l'Homme ?
—Non ; mais je vois en lui mon digne souverain.
Il a su me dompter ; il m'a soumis au frein.
Je fais rouler son char, je le sers à la guerre r
Et suis fier de porter le maître de la terre.
— Le maître de la terre ! on le lui fera voir
Avant qu'il soit demain, avant même ce soir ;
Sa demeure est-elle prochaine ?
— Je puis te le montrer lui même. Vois celui
Qui fend dans ce vallon l'énorme tronc d'un chêne :
Va t'en l'interroger ; c'est lui.
Le jeune Lionceau part, vole sur la route,
Et toujours insolent, et toujours fanfaron,,
Va s'adresser au bûcheron.
— A-t-on été sincère ? es-tu l'Homme ? — Sans doute.
— De tous les animaux tu te prétends le roi.
Tu m'as volé ce titre ; il n'appartient qu'à moi.
Battons-nous ; le succès du combat fera dire
Lequel a de nous deux, plus de droits à l'empire.
— Fort bien. J'accepte le cartel.
Le combat sera mémorable,
Et promet au vainqueur un renom immortel.
Prépare, si tu veux, ta grifse redoutable.
— Elle est prête. — Es-tu fort ? as-tu de la vigueur ?
Fendrais-tu ce bois là dans toute sa longueur ?
— En pourrais-tu douter ? — Montre ton savoir-faire :
Pour me persuader, l'épreuve est nécessaire.
Le Lionceau robuste,, et d'ardeur enflammé,
Saisit alors le tronc par le coin entamé ;
Et plongeant dans la fente une grifse tendue,
Pour que le bois éclate, il se tourmente, il sue.
Étonné qu'il résiste à ses efforts puissans,
Sur le coin, de colère, il imprime ses dents,
Et l'arrache, croyant avancer son ouvrage ;
Il avançait sa mort. Bientôt des cris de rage
Annoncent que le tronc, resserrant ses parois,
Tient captif par les pieds le monarque des bois ;
Le bûcheron jette l'alarme.
De toute part on court, on s'arme ;
Et sur le Lionceau plus de cent villageois
Se précipitent à la fois.
Ah ! dit-il en mourant, que n'ai-je cru mon père !
Je me serais bien moins reposé sur mon droit.
Je ne le vois que trop : l'empire de la terre
N'est pas au plus robuste, il est au plus adroit.