L'Oiseau de passage Louis-Maximilien Duru (1804 - 1869)

Adieux il un disciple Adèle et bien cher.
Trop tard un Oiseau de passage
Avait construit son nid et goûté les amours.
L'hiver glacé, vers un autre rivage,
Le condamnait à chercher les beaux jours,
Et son petit qui voletait à peine
Ne pouvait pas le suivre à la rive lointaine.
Pauvre père, comme il pleurait !
Quelle douleur il endurait !
Vingt fois, vaincu par la bise hâlée,
Il voulut prendre son essor,
Et sa tendresse désolée,
Vingt fois le ramenait. Il voulait voir cncor,
Consoler, caresser, et doucement instruire
A l'art de pouvair se suffire
Le cher petit qu'il allait délaisser.
Vous l'eussiez vu l'appeler, le presser
Du bec, du regard et de l'aile,
Ets sentant qu'inutile était son tendre zèle,
À la fin : — Mon enfant, lui dit-il, souviens-toi
De tout ce que mon coeur a pour toi voulu faire.
Mon enfant bien-aimé, souvent pense à ton père,
Et, quand tu le pourras, viens vivre près de moi.
Tu sais de quel amour je t'aime.
Si tu meurs, je mourrai moi-même ;
Si tu languis, je languirai ;
Si, charmé de ces lieux, où, par sa providence,
Dieu saura bien sans moi protéger ton enfance,
Tu viens à m'oublier, eh bien ! je périrai ;
Car tu m'as coûté tant de peines,
Que je ne vis plus que pour toi ;
Que même le sang de mes veines
Coule autant pour toi que pour moi.
Ô mon enfant, mon espoir et ma vie,
Mon doux enfant, seul bonheur que j'envie,
Garde toujours mon souvenir.
Oui, si le Ciel daigne affermir tes ailes,
Bien vite, hâte-toi de venir
Me prouver tes amours fidèles.
Tu sais en quelle paix tu dormais sur mon sein.
Mes tendresses pour toi demeurent éternelles ;
Pour toi j'aurai toujours un nid doux et du grain,
Au bord des plus fraîches fontaines ;
Des chants pour adoucir tes peines...
Tu seras mon unique bien ;
Fais que je sois aussi le tien !
Dieu qui t'a fait mon fils, ce Dieu m'a fait ton père ;
L'un et l'autre sachons-le bien ! —

Qu'arriva-t-il? Je n'en sais rien ;
Mais je dirai que, sur la terre,
Souvent le plus cruel destin
Est celui d'un généreux père.
Je le sais, croyez-moi, cher fils,
Pour qui ces vers furent écrits.
Mais jamais vous n'aurez de place
Parmi les coeurs, ou de roche, ou de glace
Qui longuement me l'ont appris.

Livre II, fable 10




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