O Muse, o Toi, pour qui la langue même des Dieux n’a rien de difficile ! me serait-il permis de t'implorer, pour obtenir le don d'entendre et de parler un langage moins sublime? Apprends-moi, je te prie, (si ma curiosité te parait mériter quelque indulgence) comment parlent et ce que disent le Lion et la Souris ? Comment s’expriment une Oie ou un Aigle et ce que signifient le coassement de la Grenouille et le hennissement du fringant Coursier ? Ne refuses point de me faire connaitre ; comment s’entretiennent les Arbres et les Fleuves, ce que pensent les Astres de nos conjectures, souvent téméraires, sur ce qui se passe, au-dessus de nous, ce qui peut arracher à la terre les gémissements et les mouvements convulsifs auxquels elle est sujette ? En un mot, daigne m’apprendre le langage de la nature et me garantir des absurdités de ces poètes sans goût, dont l'imagination fantasque prête de la furie aux Agneaux, des larmes aux Lions, des menaces aux Lièvres et des ailes aux plantes et se plait à intervertir l'ordre universel. Tu n’as point autrefois refusé d’instruire Esope ; Esope, qui chanta depuis le Souriceau, jusqu’au Lion; Esope, que la nature n’a jamais désavoué, et qui fit parler les bêtes, comme les bêtes auraient parlé. Ses Loups étaient altérés du sang des Brebis timides ; le Cerf paraissait charmé de son bois ; le Chat-huant de sa progéniture ; la Panthère était menaçante ; le Moineau toujours amoureux ; le Taureau de son coté vantait les gras pâturages ; la Pie les étourdissait tous de son caquet, et le Renard les jouait leur en imposait à tous, C’est ainsi que chantait le Phrygien ; rien ne se démentait dans ses chansons. Phèdre chanta d’après lui et tous ceux, qui depuis ont parcouru le pais des Fables, n’ont réussi qu’en les imitant. J'entreprends de les imiter à mon tour... mais, si j'allais échouer ?... N'importe ; qui délibère, a déjà choisi ; j'en veux courir le hasard et je chante.

Une autre traduction, sans rimes mais qui traduit ligne par ligne :

Muse! Toi qui sais ce que disent les animaux et les arbres,
de quoi chante l'oiseau, de quoi se plaignent les poissons et les vers,
je t'en supplie, dis-moi, comment parlent les lions et les souris ?
Comment une oie s’exprime-t-elle et comment un aigle s’exprime-t-il ?
De quoi parlent l’escargot et la grenouille ? Comment parlent les chevaux vifs ?
Que pense la pleine lune ? pourquoi la terre soupire-t-elle ?
Comment la nature parle-t-elle ? Cela n'a aucun sens
quand l'esprit brut et chanteur rêve à la rage des agneaux,
fait crier les lions, apprend aux lièvres à menacer,
fait tourner les ailes des plantes et bouleverse la nature.
Ésope écrivait de la poésie naturellement, sans contrainte ;
Ésope, qui chantait depuis la souris jusqu'au lion,
et sans charger la nature de rien de mal,
laissa les animaux parler comme parleraient les animaux.
Les loups avaient soif du sang des agneaux lâches,
le cerf vantait ses bois, le grand-duc sa couvée,
la panthère menaçait, le taureau parlait de l'étable,
le moineau bavardait, le renard leur mentait à tous.
Ainsi chantait le Phrygien ; Rien de ce qui se contredisait
n'a jamais coulé dans son chant, un Phèdre a chanté après lui,
et tous ceux qui l'ont suivi à travers le royaume des mythes
ont élevé leur renommée à tel point qu'ils lui ressemblaient.
Ma bouche essaie sa chanson. Et si ça ne marche pas ?
Quiconque doute a choisi. C'est audacieux, chante-t-il.

Livre I, Fable 1




Commentaires