L’Homme est extrême en tout ; la modération
Le rendrait cependant plus heureux et plus sage :
Il le sait, il le dit, et n’en fait pas usage.
Qui réprime un défaut, ou quelque passion,
D’une autre éprouve le ravage ;
Même sur ce chapitre-là,
On voit des gens tomber de Carybde en Scylla.
D’un exemple je vais appuyer ma morale.
Damis, le beau Damis, élégant, fait autour,
Avait causé plus d’un scandale
À la province, à Paris, à la cour ;
Il avait, en un mot, ces défauts et ces vices,
Ces agréments et ces caprices
Qui vous font, chez les sots, nommer l’homme du jour.
Un grand, dont il louait bassement les faiblesses,
Lui refuse un emploi, l’accable de rudesses.
Damis, pour l’obtenir, ose en vain insister ;
Il vante ses talents, et, si l’on veut l’en croire,
Dans l’antique et moderne histoire,
On ne pourrait jamais citer
Une injustice aussi notoire.
Honteux de ce refus, il part, vient habiter
Le vieux donjon que lui laissa son père.
Oui, c’en est fait, dit-il, je me consacre aux champs ;
J’y vais former mon goût, changer mon caractère,
Devenir philosophe, et même en peu de tems
Je veux être connu du monde littéraire.
Tout est plaisir pour les cœurs innocents ;
Dans le sein du bonheur s’écoulera ma vie :
Ces bois touffus, cette verte prairie
Valent mieux que la cour et tous ses faux brillants.
D’abord, il se met au régime,
Il rougit d’être intempérant ;
Et bientôt il devient décharné, cacochime,
Tant il vivait frugalement !
Mon homme était frivole, il n’est plus que bizarre ;
De prodigue, il devient avare,
Et de très-ignorant,
Pédant.
Le Damis libertin ne savait que médire,
Car il était plus léger que méchant ;
Le Damis corrigé compose une satire
Contre ce sexe aimable et le gouvernement.
Enfin, pour comble de manie,
Après s’être piqué longtemps d’être indévot
Le voilà devenu cagot :
Il n’a changé que de folie.