Le Loup et l'Agneau Nivet Desbrières (18ème siècle)

Messire Loup à jeun découvrant un Agneau
Qui se désaltérait dans un petit ruisseau,
Y courut et tançant la douce créature,
Est-ce, dit-il, en élevant la voix,
Est-ce, coquin, pour me faire une injure
Que tu prétends ainsi troubler l’eau que je bois !
Seigneur, répond l’Agneau, je vous croyais aux bois,
Et conjure votre excellence
De me pardonner cette offense.
Oh, oh ! reprit le Loup, tu fais le beau parleur !
Et je te reconnais pour un petit railleur,
Cela te sied fort mal ; mais, quoi ! n’as-tu pas honte
Des propos que tu tins l’an passé sur mon compte :
Ah ! Seigneur, je n’étais pas né,
Repart l’Agneau, fort étonné,
Et suis bien loin d’avoir cet âge :
C’est être un menteur obstiné
De me tenir pareil langage,
Répliqua sur le champ l’animal plein de rage,
Tu veux m’en imposer et te moques de moi ;
D’ailleurs si ce n’était pas toi,
C’était donc ton insolent frère ?
Je n’en ai point. Eh bien ou ton père ou ta mère,
Et puisqu’enfin ils ne m’épargnent pas,
Il faut qu’en dépit d’eux je fasse un bon repas,
Comme il le fit. —

Souvent une injuste puissance
Opprime ainsi la plus pure innocence.

Fables nouvelles, fable 15




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