Le Lièvre inquiet Philippe Barbe (1723 - 1792)

Un Lièvre (ces gens-là n'ont guère de héros)
Tremblait au lever de l'Aurore,
Et quand l'Astre du jour se cachait dans les flots,
Il craignait et tremblait encore.
Si le Vent agitait la surface des eaux,
Ou les branches d'un arbre
Il devenait plus froid qu'un marbre.
Si l'éclair brillait à ses yeux,
Si Jupiter tonnait du haut des cieux,
Tapi dans sa grotte profonde,
Il attendait la fin du monde.
Lorsqu'un torrent impétueux
Roulait avec fracas du sommet des montagnes,
Ou que la pluie inondait les campagnes,
C'est un nouveau déluge envoyé par les Dieux,
Disait notre Animal peureux,
Pour m'exterminer, me détruire,
Pour noyer l'Univers et tout ce qui respire.
Qu'un Voyageur passât dans la forêt,
Il croyait aussitôt qu'une fléché perfide
Allait exécuter l'inévitable arrêt
Prononcé contre lui par le Chasseur avide.
Quand une épine le piquait...
Je mourrai de cette blessure.
Si quelquefois la faim le tourmentait.
Je vais périr, faute de nourriture.
Qu'arriva-t-il ? Rien de ce qu'il craignait.
Il trouva toujours de quoi vivre.
Le Chasseur, qu'il appréhendait,
Ne songea point à le poursuivre.
La fin du monde ne vint pas ;
Sire Lièvre mourut de sa mort naturelle :
Mais jusqu'au dernier jour, sans cesse et pas à pas,
Il fut suivi par la frayeur cruelle.

Semblables à ce Lièvre, hommes trop inquiets,
Vous craignez des malheurs que vous n'aurez jamais.

Livre I, fable 13




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