(Suite de la Fable précédente.)
L'homme qui, par son fait, tombe dans la misère,
Se garde rarement de l'instinct de mal faire.
Milord, ce chien dont j'ai déjà dépeint l'humeur
Et la paresseuse indolence,
Par son exemple va prouver ce que j'avance.
Après avoir été, tel qu'un vrai malfaiteur,
A coups de bâton et de pierre,
Battu, chassé, ce pauvre hère,
Couché près d'un manoir essayait, en dormant,
De calmer de la faim le douloureux tourment,
Quand soudain, ô bonheur ! une odeur de cuisine
Frappe son odorat ; il regarde, examine,
Et voit vêtu d'un beau manteau
Un monsieur qui prenait le chemin du château.
— Ceci, se dit-il en lui-même,
Annonce un grand repas ; suivons cet étranger,
Il parait bon enfant, d'une douceur extrême,
Je puis bien avec lui trouver, sans nul danger,
Quelque lopin à prendre ou quelque os à ronger.
Ceci dit, notre drôle, en souriant s'avance,"
Prend avec ce monsieur un air de connaissance,
Et le suit sans plus de façon.
Au château bientôt on arrive :
Le maître du logis suppose, avec raison,
Que cet animal est le chien de son convive
Et celui-ci le croit un chien de la maison.
Dans la salle à manger tandis que l'on festin,
Mon intrus va dans.la cuisine,
Se niche dans un coin et là feint de dormir.
A peine est-il blotti qu'il voit le chef sortir.
Il se lève sans bruit, de tous côtés regarde :
Ne le voyant pas revenir,
Il va près du foyer et happe une poularde
Mise en un large plat et qu'on allait servir.
Il comptait s'esquiver. Justes dieux ! il rencontre
Le chef qui, sous sa main trouvant un gros bâton,
D'un bras vigoureux lui démontre
Ce que mérite tout fripon.