Le Lapin et le Gendarme Pierre Chevallier (1794 - 1892)

— Excusez, Monsieur le Gendarme,
Disait, sur la fin d'août, nez baut, s'agenouillant,
Un jeune lapin larmoyant ;
Excusez-moi si j'ose, en ces moments d'alarme,
De votre utile ronde interrompre le cours.
Hélas ! les vifs soucis que depuis quelques jours
Nous cause des chasseurs la trop funeste engeance,
A votre humanité me font avoir recours.
Grâce, mon bon Monsieur, à votre surveillance,
Naguère nous pouvions prendre tous nos ébats,
Sans crainte sur l'herbette égayer nos repas :
Maintenant, obligés d'être sur le qui vive,
D'avoir à chaque instaDt l'oeil et l'oreille au guet,
Il nous faut désormais, ô triste alternative !
À la hâte, en tremblant, brouter le serpolet,
Ou, retirés au fond de nos sombres chambrettes,
Jeûner en vrais anachorètes.
Je vous en prie, au nom de la sainte équité,
Vous, son digne soutien, oh ! soyez-nous propice,
Et de ces gens, chez qui tout est ruse, injustice,
Veuillez faire cesser l'affreuse atrocité.
— Je suis vraiment touché de tes vives alarmes,
Répond le militaire aux pacifiques armes,
Et voudrais de bon cœur, mon cher petit ami,
Te voir contre la peine un peu plus affermi.
Crois bien, d'ailleurs, qu'à ta prière
Avec empressement je saurais satisfaire
Si la plus barbare des lois
N'avait pendant près de six mois
Mis à prix d'argent votre tête.
Tache donc jusque-là d'éviter la tempête
Qui presque tous les jours va sur vous retentir
Et dans ton trou va te blottir
Alors que tu verras chasseurs et chiens en quête.
En ta mémoire grave enfin
Et retiens, avant toutes choses,
Que de la vie étroit est le chemin
Et qu'il n'est pas toujours semé de roses.

Livre I, fable 15




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