Eurus et Zéphyre

Pierre-Louis Ginguené (1748 - 1816)


De la caverne d'Éolie
Chassé par les Vents tapageurs,
Près de la Déesse des fleurs,
Tandis que le Zéphyre oublie
Tant d'outrages et de fureurs,
Eurus à la brûlante haleine,
Le Vent orageux du midi,
Du bruit qu'ils faisaient tous, du sien même étourdi,
Voulut respirer dans la plaine.

L'Aurore au visage riant
Déjà de pourpre et d'or enflammait l'orient,
Et Zéphyre, au signal d'une belle journée,
Déjà par des bienfaits commençait sa tournée.
Eurus qui l'aperçoit de loin,
Voilà notre exilé, dit-il, et dans un coin
Il se tapit ; de l'œil il commence à le suivre ;
Dût-il le suivre tout un jour,
Enfin il apprendra comment loin de la Cour
Un Vent disgracié peut vivre.

Sur ses ailes Zéphyr balancé doucement,
Dissout les tendres pleurs qui forment la rosée,
Les fait pleuvoir également
Sur la terre fertilisée
À l'herbe, à la fleur épuisée
Rend la vie et le sentiment.
Le lis et l'hyacinthé, honneur de la prairie,
D'un humide et pesant sommeil
Dégagent leur tête flétrie,
Et la renaissante Clitie
Salue, en s'inclinant, le lever du soleil.
La rose, qui languit absente de Zéphyre,
Sortant du bouton virginal,
Appelle son amant au baiser matinal ;
Il y vole, il jouit, et son fécond sourire
De jouir à la Terre a donné le signal.

Quoi ! dit Eurus à part, ce Vent qu'on nous préfère,
C'est donc là tout ce qu'il sait faire !
Avec de si frêles poumons
Et de si faibles ailerons,
Si le cadet de la Famille,
Pour plaire, a ce talent qui séduit et qui brille,
Moi, l'un des quatre Fils aînés,
Avec ces deux immenses ailes
Et ces larges poumons que le Ciel m'a donnés,
Je ferai, s'il me plaît, cent prouesses plus belles.
Cessons d'inspirer la terreur ;
Prouvons à notre jeune Frère
Qu'on peut faire plaisir et peur,
Et qu'en nos jours de bonne humeur
Comme un autre nous savons plaire.

Cela dit, notre Eurus- Zéphyr
S'élève lourdement, retombe sur la plaine,
Et croyant soupirer, souffle à perte d'haleine ;
Rompt les plantes, les fleurs, brûle, dessèche, entraîne,
Fait plus de mal pour son plaisir,
Que n'en firent jamais sa colère et sa haine.

À ressembler aux Bons le Méchant perd sa peine ;
Il ne nuit jamais plus que quand il veut servir.

Fable 58




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