Une Citrouille était qui se plaignait tout bas,
Que la Nature l'eût formée
Pour se traîner sans cesse et glisser pas à pas
Dans un jardin humide et sur un terrain gras
Où le Sort l'avait renfermée.
En fait d'esprit, les Citrouilles n'ont pas,
Jusqu'à présent, beaucoup de renommée.
Voyons ce que fit celle-ci.
D'abord, dans son langage, elle parlait ainsi :
Faut-il, dès en naissant flétrie,
Dans l'opprobre passer ma vie ?
J'ai laissé loin de moi le fumier d'où je sors ;
Mais je ne monte point ; dans la fange on m'oublie :
Le plus vil animal me passe sur le corps ;
Sous l'eau, quand il a plu, je reste ensevelie ;
Je vis dans les brouillards, et me consume en vain
À vouloir m'élever dans un air plus serein.
Tout en faisant sa doléance
Elle avançait, s'étendait, occupait
Dujardin un espace immense ;
Et sans jamais se redresser, rampait.
Elle rampa si bien que la voilà venue
Au pied d'un arbre antique et dont les rameaux verts,
Vainqueurs de plus de cent hivers,
Allaient se perdre dans la nue.
De ses bras tortueux, par vingt replis divers,
Elle presse la tige, et monte ; parvenue
Aux branches, monte encore ; et les nuits et les jours
Toujours monte, en rampant toujours.
Enfin, au sommet arrivée,
Vers les cieux la tête levée,
Elle plane au dessus des plus nobles rameaux.
Sur ce peuple de végétaux,
Sa famille autrefois, gisant encor sur l'herbe,
Elle abaisse un regard superbe,
Et n'y reconnaît plus d'égaux.
Les Plantes à leur tour, dans l'orgueilleuse Plante,
Ont peine à retrouver Citrouille leur parente.
Est-il possible ? O ciel ! Quel chemin, et quel saut !
Comment a-t-elle fait pour se guinder si haut ?
Un Jonc leur dit alors : Ne l'avez-vous pas vue
Ramper entre le Chou, l'Oseille et la Laitue ?
J'ai prévu, sans être devin,
Cette élévation qui vous blesse la vue.
En faire autant n'est pas bien fin :
Je le ferais si la Nature
M'avait créé pour cette fin ;
Mais elle m'a fait droit : je souffre sans murmure
L'humble état où l'on reste en gardant cette allure.
Quand l'ouragan me vient frapper,
Je plie, il le faut bien ; mais je ne puis ramper.