Le Pot de Farine Raymond de Belfeuil (19ème siècle)

De Perrette et son pot au lait
C'est le pendant que je vous donne ;
Que La Fontaine me pardonne !
Cela dit, arrivons au fait.

Un jour, un Derviche de Chine,
En aumône, d'un mandarin
Reçut un vase plein
De farine.

Pensez s'il fut heureux de ce riche cadeau,
Et s'il remercia le seigneur charitable !
En cheminant, il vint au bord de l'eau.
La fraîcheur de l'endroit tente le pauvre diable.
Sur le sable
Il pose avec précaution
Son précieux bagage,
Et se couche à côté, serrant bien son bâton
De voyage,
Sans doute crainte du larron.
Puis, il rêve ; — rêver est si doux à tout âge !
« Avec cette farine on aurait bien un veau.
Le veau deviendra grand, si Dieu lui prête vie.
Mon bœuf sera donc gras et beau.
Je le vendrai fort cher ! Alors, j'ai bien envie
D'acheter un mouton avec une brebis.
Ils auront des petits;
J'en vendrai la moitié pour avoir une ferme.
Mes agneaux grandiront.
Et se décupleront;
Ma fortune sera doublée à chaque terme.
J'aurai des champs à moi, des vignes, des coteaux,
Une maison superbe et d'immenses troupeaux :
Je serai du pays le mortel le plus riche :
Alors je me marié ; .il faut faire une fin.
Ma femme sera belle, et puis, foi de derviche ! '
J'aurai tant de plaisir à voir plus d'un bambin
Autour de moi courir en me nommant leur père.
Les enfants sont bruyants, je déteste le bruit !
Taisez-vous donc, enfants! si l'on désobéit,
Le fouet! La pauvre mère.
Pour eux priera,
Me suppliera !...
Que m'importera sa prière
Alors elle m'injuriera :
— Madame, êtes-vous folle
Heureusement j'aurai mon bâton là !.,. »
Le Derviche, joignant le geste à la parole,
De son noueux bâton frappe un coup violent.
Le coup brisa le pot !... Adieu, moutons de Chine !
La farine s'en fut au vent.

Que de gens ont bâti souvent
Sur un pot de farine !

Fable 1




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