Une Terreur panique Remacle Maréchal (1796 - 1871)

Vers la place de saint Lambert
(Daigne le bon lecteur me passer la sornette),
Au mois d'avril, certain concert
De tambourin, de clarinette,
Irrésistiblement m'attirait, m'agaçait.
Or voici ce qui s'y passait :
De six individus de la canine engeance
Une bande, à l'envi l'un de l'autre, dansait ;
Près d'eux un singe grimaçait,
Et, mettant à profit la musique et la danse,
Un grand caniche sommeillait.
Mais le concert se tait ; le maître a la parole :
<< Allons, debout, dormeur ! et toi, mon petit drôle,
Attentif au commandement !
Et d'une, hop ! » Alors c'était plaisir vraiment
De voir le singe, alerte et tout plein de son rôle,
Sauter sur le barbet, mettre flamberge au vent.
Car (et j'aurais bien dû le dire,
Je crois, dès le commencement),
Il portait shako, sabre et pelisse et dolman,
Comme un vrai hussard de l'empire.
Mais voici le plus beau du spectacle : au moment
Où, la seconde fois, il tirait sa rapière,
O contretemps ! soudainement
Du fond des Degrés de Saint-Pierre
Débouche une troupe de chiens
De toutes les tailles (je tiens
Qu'ils étaient quinze au moins), poursuivant quelque chose...
Je ne dis pas quoi, je suppose
Qu'on devine aisément l'appétit des vauriens.
Et mons barbet, le bon apôtre,
Qui, sait-on bien, n'était pas plus de bois qu'un autre,
Les voyant, avec eux, au beau milieu du tour,
Se met à courir à son tour,
Sans songer au hussard braqué sur son échine,
Le sabre au poing, pas même aux coups dont la
Ne lui fera faute au retour. [ houssine
Nos chiens, l'apercevant, dansent la sarabande.
« Quel quidam est-ce là ? Ciel ! un guerrier qui veut
Nous écourter ! Sauve-qui-peut !.. >>
Et, comme un régiment tout-à- coup se débande
Et de peur s'enfuit éperdu,
En un clin d'œil toute la bande
En Gérardrie a disparu.
Dans cette déroute effroyable
Que fait le bateleur ? Hélas ! le pauvre diable !
De sa quête évincé, d'embarras presque fou,
Suivi des six danseurs il court comme une biche
Après son singe et son caniche,
Qu'il rattrapera Dieu sait où.
Eh bien, bénin lecteur, de ma badauderie
As-tu pu t'amuser quelque peu ? Je t'en prie,
Ne va pas me répondre : « Non. »
Au temps qui court, de tant d'énormités sans nom,
Chaque jour, le spectacle et m'afflige et m'effraie !
Oh ! pour Dieu, quelquefois, cher ami, trouve bon
Que d'innocents riens je m'égaie.

Livre IV, fable 12




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