La Nature et la Fortune Jacques Peras (18è)

Un Frontispice, par usage,
D'un nom fameux doit être décoré ;
Cela donne un relief, sans abonir l'Ouvrage :
Mais moi qui suis presqu'ignoré,
Le mien n'a pas cet avantage ;
C'est un malheur, il faut s'en consoler ;
Car à présent où trouver un Mécène ?
Tout le monde prétend briller :
L'esprit est si commun, qu'on ne prend pas la peine,
Dans l'heureux siècle où nous vivons,
De jeter un regard sur l'Homme de mérite.
Vicieux, vertueux, font de différents noms ;
On ne sait à présent ce qui vous accrédite.
Moi, je sais à quoi m'en tenir :
Semblable à mes aïeux, simple, droit et sincère,
Je ne veux pas me départir
D'un titre que l'on croit être peu nécessaire ;
J'y trouve néanmoins beaucoup d'utilité,
Peu de profit ; c'est encore un usage.
Ainsi j'adresse mon Ouvrage
A l'Amateur de l'Equité.

Dame Fortune et la Nature
Se disputaient. Voici le fait.
La première avait tort, autant que je l'augure :
Hardiment elle prétendait
Etre la mère du Mérite,
Et le prouvait passablement.
Il est de moi, qu'aucun ne s'en irrite,
Disait-Elle orgueilleusement ;
Il me doit tout, rang, dignité, suffrage :
Oui, je l'ai tiré du néant,
Et s'il parait c'est mon Ouvrage,
Qui peut aller contre ce sentiment ?
De mes droits je fuis envieuse.
La nature, d'esprit un peu moins turbulent,
Mais guère moins capricieuse,
Lui répondit très- posément.
Ecoutez, vous allez connaître
Quels font vos droits dans ce débat :
Le Mérite est mon fils, c'est de moi qu'il tient l'être,
Mais il vous doit tout son éclat.

Livre I, fable 1




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