La Bassinoire empoisonnée Stop (1825 - 1899)

Sur les bords d'une île sauvage
De l'archipel Océanien
Un navire avait fait naufrage ;
Les passagers et l'équipage
Avaient tous péri bel et bien.
Entre deux grands rochers on voyait accrochée
La carcasse du bâtiment ;
Et sur la plage incessamment
Le flot, qui chaque jour la minait lentement
Rejetait quelque épave à ses flancs arrachée.

La tribu des Petits-Nez-Verts,
Habitants du pays, venait à la curée,
Recueillant les objets divers
Que leur apportait la marée,
Et tous ces gens à peu près nus
S'en faisaient, suivant leurs caprices,
Des colliers et des appendices
Aussi nouveaux que saugrenus.

Un de ces pillards à peau noire
Un beau matin au campement
Rapporta triomphalement
Une superbe bassinoire.
Ce fut un grand événement.
De cet instrument de ménage
Tout le monde ignorait l'usage ;
Le Grand-Chef, qui fut consulté,
Manifesta sa volonté
De se l'adjuger en partage
Et de s'y voir servir chaque jour son potage.

On obéit : mais très rapidement
Le cuivre s'oxyda, suivant les lois physiques)
Et le Grand-Chef mourut au milieu des coliques
Sans savoir pourquoi ni comment.
Son successeur finit de la même manière,,
Puis un autre : les Chefs alors ne duraient guère
Plus de six mois. Un quatrième, enfin,
Par bonheur eut le nez plus fin.
Il soupçonna la fameuse soupière
D'avoir causé la prompte fin
De ses prédécesseurs, et sans cérémonie
La jeta dans la mer : cet homme de génie
Eut le plaisir de mourir fort âgé.

Que de mal tu peux faire, ô Routine, ma mie,
Avant que de ta loi l'homme soit dégagé !

Fable 17




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