La mode, en notre temps, est de ne pas voir clair.
On se met sur le nez un objet en écaille
Qui, pour peu que ce nez soit d'une honnête taille,
Des deux côtés vous entre dans la chair,
Se casse à chaque instant et vous coûte fort cher ;
C'est la mode ! Très-bien ; ce mot est sans réplique.
Un jouvenceau, sortant de rhétorique,
Arrive un jour chez ses parents
Orné de cette mécanique.
D'abord on s'en moqua ; puis les plus indulgents
Dirent qu'au fait sa vue était courte, peut-être ;
Lui l'affirma. — Sa sœur, spirituelle enfant,
Mais espiègle à l'avenant,
Se promit de savoir ce qu'il en pouvait être.
Certain jour, donc, qu'imprudemment
L'autre avait laissé sur sa table
Son fameux instrumenta vite le petit diable
Sur le bout de son pied mignon
Entre, et vient enlèver les verres du lorgnon.
L'autre étourdi comme on l'est au collège,
Et par le fait ayant d'excellents yeux,
Aucunement ne soupçonne le piège,
Et paraît, d'un air sérieux
Portant l'objet malencontreux.
Dieu sait si l'on en rit ! Notre petit jeune homme,
Qui n'était point un sot, se montra bon garçon ;
Il n'alla pas le dire à Rome,
Mais profita de la leçon.
Quand la mode a parlé, la raison doit se taire ;
Des souverains qui règnent sur la terre
Nul n'a des sujets plus soumis ;
Ce qu',elle ordonne est aussitôt admis.
A-t-elle décrété que les femmes soient grasses ?
L'art contraint la nature) et) de force ou de gré.
On arrive au juste degré ;
S'il fallait être grand, on irait aux échasses !
Le sage, en s'y pliant, peut ne pas se hâter ;
Mais inutilement il voudrait protester.
Quand finira cette folie ?