Dans une élégante écurie,
Sous la protection d'un homme généreux,
Se pavanait un cheval vigoureux
Que vit naître l'Andalousie.
Son maître avec amour prévenant ses besoins,
Lui prodiguait les caresses, les soins,
Et de mille douceurs embellissait sa vie.
Dès le matin, un vigilant valet
Abondamment sous ses pieds étalait
Une molle et fraîche litière,
Lissait son poil, arrangeait sa crinière :
Bref, rien ne lui manquait ; mais le maître, en retour,
Voulait qu'au frein il se montrât docile,
Et par son ordre un écuyer habile
A l'animal venait enseigner chaque jour
Le trot et le galop, l'amble et mainte autre allure.
Fier et fougueux de sa nature,
L'indomptable coursier fut bientôt révolté
De voir ainsi gêner sa liberté.
Il échappe à la surveillance
De ses gardiens, et dans le fond d'un bois
Il va chercher l'indépendance.
D'abord, il y trouve à la fois
Et le repos et l'abondance.
Un gazon émaillé de fleurs
Qui charmait l'œil par ses riches couleurs
Lui fournit une ample pâture,
Et sous un dôme de verdure
Évitant à midi les ardeurs du soleil,
Il goûte avec délice un paisible sommeil,
Au bord d'une onde vive et pure.
Mais le cruel hiver, désolant la nature,
Vint, escorté des frimas, des autans,
Lui ravir sans pitié les charmes du printemps.
Cette forêt dont il aimait l'ombrage,
Veuve de son épais feuillage,
Ne le protège plus : tombant à gros flocons,
La neige a recouvert la riante prairie
Qui naguères lui prodiguait
Une herbe abondante et fleurie :
L'onde où tranquillement il se désaltérait
En une glace dure est bientôt convertie.
Transi de froid, mourant et de soif et de faim,
Le malheureux se résout à la fin
D'aller, non loin de là, dans une métairie,
Implorer les moyens de prolonger sa vie.
Il arrive tout haletant.
Le fermier le reçoit, le nourrit, bien content
D'acquérir à ce prix un serviteur utile ;
L'infortuné paya cher cet asile.
Tantôt il est chargé d'un fumier dégoûtant ;
Tantôt, meurtri de coups par un rustre imbécile,
À la charrette humblement attelé,
Il va traînant des fardeaux à la ville.
Faible, maigre, le cou pelé,
L'œil morne et la tête baissée,
Vers des temps plus heureux reportant sa pensée :
« Ah ! dit-il, si jadis sottement entêté
D'une trompeuse liberté,
Au frein je n'avais pas tenté de me soustraire,
Chez mon excellent maître, aimé, choyé, flatté,
Je pourrais parcourir avec sécurité -
Une brillante et joyeuse carrière.
Ici, manquant de tout, méprisé, maltraité,
Je languis accablé de honte et de misère.
Et, pour comble de maux, je l'ai bien mérité. »