« Que l’homme est bon ! » disait en ruminant,
Au milieu d’un riant herbage,
Le plus calme des bœufs, à son gré raisonnant,
Se reposant, se promenant,
En un mot, vivant comme un sage :
« Que l’homme est bon ! il m’amène à grands frais
De ces arides bords qu’arrose la Mayenne ;
Là, maigre, sec, je végétais
Dans les travaux et dans la peine,
Parmi la ronce et les genêts ;
Grâce à lui, me voici dans la verte prairie
Où l’Orne promène ses flots ;
C’est là qu’au sein d’un doux repos
J’engraisse en savourant l’herbe tendre et fleurie ;
Que l’homme est bon ! j’en ai l’âme attendrie ! »
Comme il s’attendrissait, on n’envient le chercher ;
Avec ses compagnons. « Allons, il faut marcher.
- Où donc ? — Vers la capitale.
- Bon ! se dit notre ambitieux,
Je serai le bœuf-gras ! J’éblouirai les yeux
Dans cette marche triomphale ! »
Et, s’acheminant vers Paris,
Il rêve des honneurs, des couronnes, des prix !
Cette touchante rêverie
Ne finit qu’à la boucherie !
Surpris par l’assommoir, pauvre bœuf, tu criais :
« L’homme est méchant, redoutez ses bienfaits ! »
Ainsi, notre crédule espèce
S’abandonne aisément à la main qui caresse !
Dans des services apparents
Les hommes sont trop confiants :
Loin de moi les ingrats, j’en maudirais l’engeance :
Sachons pourtant si le bienfait
Vient du cœur, ou de l’intérêt ;
La prudence, le temps, un peu d’expérience,
Sont bons à consulter, même en reconnaissance !