Certain Lion, au fond plein de bonté,
De vertus et d’urbanité,
N’avait qu’un seul défaut, mais grand chez une bête ;
C’était de se croire une tête
Au-dessus de l’humanité ;
D’être à l’excès jaloux de son autorité,
De ne savoir quels moyens prendre
Pour l’augmenter ou la défendre.
Une Pie, un Basset, serviteurs empressés,
Et gens au mal intéressés,
Soir et matin ne cessaient de lui dire :
« Maître, vous vous laissez conduire ;
Depuis longtemps vous fléchissez ;
Tenez-vous bien, conservez votre empire ;
Que ceux qui s’avisent d’en rire
Du logis soient vite chassés.
Écartez ce parent, prenez garde à ce gendre,
Cet Aigle est un ambitieux,
Ce Renard un astucieux,
Et ce Mouton lui-même avec son regard tendre,
Comme un autre peut vous surprendre. »
Et le Lion de s’emporter,
De rugir, de s’inquiéter,
De dire qu’il était le maître,
Et qu’il le ferait bien connaître.
Il le fit connaître en effet :
Aux amis, aux parents on fit si rude chasse,
Que tous bientôt eurent quitté la place,
Et que des deux flatteurs le succès fut complet.
Le Lion devint vieux ; dans sa maison déserte
Il n’entendait que cris et qu’aboiements ;
La Pie et le Basset étaient en guerre ouverte
Pour leurs petits émoluments :
Infirme et valétudinaire,
Leur maître, afin de se délivrer d’eux,
Ne disait rien, donnait tout ; trop heureux
De terminer ainsi la guerre.
À son dernier jour il disait :
Rien n’est là de ce qui m’aimait ;
Point d’adieu, pas de soins, pas une main amie ;
J’ai tout exilé, c’en est fait ;
Beau destin bien digne d’envie,
Pour un Lion, de terminer sa vie
Entre une Pie et ce Basset ! »
Oh ! si je deviens vieux, j’espère
Profiter de cette leçon,
Et je veux que dans ma maison
Tout aille d’une autre manière :
Le plaisir du commandement,
J’en conviens, m’est peu nécessaire ;
D’être conduit je ne me défends guère,
Pourvu que ce soit doucement :
Jamais dans les êtres que j’aime
Je ne craindrai l’autorité ;
Ils ordonnent chez moi !... le mal, en vérité,
N’est pas grand ! mes amis, mes enfants, c’est moi-même !
Aussi, que de fois je dirais
À ces gens fiers dont le monde fourmille,
Mieux vaut céder à sa famille,
Que d’obéir à ses valets !