Quittant les champêtres asiles
De Montmorency, de ses bois,
Un troupeau d’ânesses dociles
Allait vers la Ville des rois ;
Elles marchaient devant leurs guides,
Sans bâts, sans colliers et sans brides,
Avec tant de soumission,
De douceur, de discrétion,
Que, les voyant de mes fenêtres,
Je disais : « Pauvres animaux !
On vous trouve tant de défauts,
Et vous valez mieux que vos maîtres ! »
Aux barrières le peloton
Arrive ; et, d’un air ironique,
« Où vont ces dames ? leur dit-on ;
Donner des leçons de musique ? »
Vous devinez que ce propos
Met en goguette tous les sots.
« Voyez la belle compagnie !
Dit un Barbet, et quel air de génie !
Est-ce pour l’Opéra ? s’écriait un Canard.
Non, répond un Dindon, c’est pour le boulevard ;
Le cirque Franconi dès longtemps les réclame
Pour son plus prochain mélodrame. »
Un rire universel éclate en ce moment :
Nos ânesses paisiblement,
Sans s’effaroucher du scandale,
Sans y répondre seulement,
Avancent dans la capitale,
Marchent vers le quartier d’Antin,
Et jusqu’au faubourg Saint-Germain.
Des hôtels renommés par leur magnificence,
Élégants, vastes, somptueux,
S’ouvrent à leur aspect. Avec impatience
Partout on attend leur présence ;
Tout s’empresse, tout prend un air affectueux ;
Des tasses d’or s’approchent d’elles ;
De blanches mains vont presser leurs mamelles ;
Pour le vieillard, pour la vierge, l’enfant,
On recueille ce lait si doux, si bienfaisant ;
C’est une sœur qui le porte à son frère ;
C’est Emma livrée aux douleurs,
Qui^ les yeux humides de pleurs,
En invoquant le ciel, le présente à sa mère !
Or, savez-vous pendant ce temps
Ce que faisaient nos insolents ?
Rejetés par la valetaille,
Les grilles se fermaient sur eux,
Avec cet ordre gracieux :
« Empêchez d’entrer la canaille ! »
À travers les barreaux ils virent les objets
De leurs mépris, de leurs impertinences, .
Fêtés dans de brillants palais,
Aller de pair avec des Excellences.
Alors tout change de propos.
- Mon Dieu, les jolis animaux !
« Qu’ils sont bien faits, qu’ils sont beaux, qu’ils sont sages. »
Et c’est ainsi qu’au milieu des bravos,
Ils furent, comme des héros,
Escortés jusqu’en leurs villages !
La sottise va dénigrant
L’homme utile et modeste oublié dans la rue ;
Qu’il soit bienvenu chez un grand,
L’accueil devient tout différent,
Et jusqu’à terre on le salue.