C'est une vérité dès longtemps en crédit :
Homme, insecte, animal, tout ce qui, dans ce monde.
Ou marche, ou vole, ou nage, ou se traîne, ou bondit.
Tout ce qui, sur la terre ou dans le sein de l'onde,
Vit et croît et s'agite et pullule et grandit,
Reçoit l'heureux instinct de veiller à sa vie ;
Toutefois, sur ce point, l'Autruche est mal servie,
Le sentiment de sa sécurité
Manque à cette belle personne :
Du reste, noble port, extrême agilité,
Et certain air de majesté,
D'où vient que l'Africain lui donne
Le nom de reine du désert.
Dromadaire emplumé dont le nègre se sert
Quand il cherche et poursuit les timides gazelles,
Ce n'est pas pour voler qu'elle a reçu des ailes,
Mais bien pour s'aider à courir,
Pour garder l'équilibre en sa rapide allure ;
Et comme si, vouée à l'esprit d'aventure,
L'immensité des lieux qu'elle doit parcourir,
Suivant les lois de sa nature,
Lui semblait être une étroite prison,
On la voit, emportée aux ardeurs de sa chasse,
Ne mesurer ni le temps ni l'espace,
Et laisser à peine la trace
De son passage à l'horizon.
Prompte, rapide, aérienne,
Agitant avec grâce et noblesse à la fois
Le plumage qui sert au panache des rois,
Quelle beauté serait comparable à la sienne ?
Mais, suivant un dicton vieux comme l'univers.
Toute médaille a son revers :
La peur est pour l'Autruche un suprême travers ;
Et toute faculté lui semble être ravie
Dès qu'elle tremble pour sa vie.
Sitôt qu'un ennemi paraît la menacer,
Qu'elle entend le vautour ou qu'elle voit passer
Le tigre ou le chacal, qu'elle se croit surprise,
D'une frayeur soudaine elle se trouve prise ;
On la voit s'agiter sous un soudain frisson,
Et la bête impuissante à protéger son être,
Qui ne sait pas combattre et qui sait se soumettre,
S'en va cacher sa tête au fourré d'un buisson ;
Ne voit, n'entend plus rien, s'absorbe dans sa crainte,
Se dévoue au péril, se résigne à son sort,
Laisse son corps en butte à la première atteinte,
Et, dans cette attitude, elle subit la mort.
Ainsi font de nos jours tels princes de la terre
Qu'on dirait se complaire en leur aveuglement.
Du sol de leurs Etats un ferment délétère
Est prêt à s'exhaler par quelque grand cratère,
Ils attendent tranquillement
L'heure du grand péril, le suprême moment,
S'en remettant au sort favorable ou contraire,
Comme si, n'ayant pas le don de s'y soustraire,
Ni la force de l'endurer,
S'aveugler sur le mal c'était le conjurer.