L'ignorance est un bandeau, et celui qui néglige de s'instruire marche les yeux fermés à travers les écueils et les précipices.
Une grive fort sage, comme on pourra s'en convaincre par cette fable, avait deux filles qu'elle voulut instruire de tout ce qui pouvait leur être utile. La nature ayant assez appris aux grives ce qu'elles doivent faire, cette mère prudente mit tous ses soins à faire connaître à ses filles ce qu'elles devaient éviter. Elle les conduisait à travers la campagne, et là : « Voyez-vous, leur disait-elle, cet homme qui se promène avec une espèce de bâton ? S'il peut vous approcher, il lancera contre vous quelque chose qui vous tuera. Tenez-vous à une certaine distance de lui, et observez ce qu'il va faire à d'autres oiseaux. Cette pierre que vous apercevez, et sous laquelle vous trouveriez des grainés que vous voudriez bien manger, n'est suspendue que sur les morceaux de bois qui embarrassent l'entrée ; si vous les touchez, la pierre tombe à l'instant. Cet homme, que vous voyez assis à quelque distance de ce filet tendu, et au bout de cette corde, attend les oiseaux pour les prendre au passage ; si vous voliez sur ses toiles, d'un coup de main il les ferait mouvoir, et vous envelopperait ainsi. Ce crin derrière lequel vous voyez un appât vous serrerait le cou, si vous étiez assez sottes pour l'y mettre. Cet oiseau que vous voyez dans les airs, mes enfants, examinez-le bien, il ne vit que des oiseaux qu'il peut prendre. » Ces petits bâtons noirs que vous apercevez sur cet arbre sont entourés de glue ; et si vous posiez le pied dessus, vous ne pourriez plus vous dépêtrer. » Elle leur faisait remarquer plusieurs autres dangers ; et de ces deux jeunes grives, heureuses d'avoir une mère aussi sage et aussi bonne, l'une attentive prêtait l'oreille et observait tout, cherchant à en faire son profit ; l'autre, d'un caractère très-léger, écoutait peu sa mère, voltigeait, et s'occupait de toute autre chose, du chant des oiseaux, du vol des mouches, du mouvement des plantes, et de mainte autre inutilité. Qu'en advint-il ? Le moment de quitter les montagnes arriva. Il fallut chercher un autre climat, et voyager à travers les pièges de toute espèce, que les hommes et les oiseaux de proie tendent en automne aux habitants de l'air. Celle qui avait écoulé sa mère sut les éviter tous ; l'étourdie qui avait négligé de s'instruire, donna dans le premier venu, et périt.