L'Aveugle volontaire Antoine Bret (1717 - 1792)

En ses vieux jours Razis perdit la vue,
Un Empirique aussitôt s'évertue,
Veut le traiter : une minute ou deux
Vont lui donner l'usage de ses yeux.
Dans ses promesses magnifiques,
Razis l'arrête et lui dit, cher Docteur,
Combien l'œil a--il de tuniques ?
Je n'en fais rien, répond l'Opérateur ;
Mais laissez faire et comptez sur le reste.
Non pas, dit Razis, s'il vous plaît,
Un ignorant n'est pas mon fait ;
Sa main pourrait m'être funeste ;
Qui ne fait pas compter les tuniques de l'œil,
Ne me touchera point, malgré tout son orgueil.
Parents, amis, alors se réunissent
Pour l'engager à se faire opérer.
Nos Charlatans quelquefois réussissent.
Lui disent-ils, à quoi bon différer ?
En cas pareil le refus n'est pas sage,
Si ses efforts sont impuissants
Vous resterez sans voir, voilà tout le dommage.
Non, dit Razis, j'ai vu le monde assez longtemps,
J'aurais regret de le voir davantage.

Fables orientales, fable 15




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