Le Roi et le Gueux Antoine Bret (1717 - 1792)

Un Sultan passait sans rougir
La nuit dans la débauche et le jour à dormir.
Quand au plaisir de boire je me livre,
Mon doux espoir, disait-il, c'est d'être ivre ;
C'est un état délicieux pour moi.
Un Gueux l'entend et lui dit, par ma foi
Nous nous ressemblons l'un et l'autre,
Je m'enivre aussi comme un Roi ;
C'est mon plaisir mignon ainsi qu'il est le vôtre.
Bien loin de s'indigner de la comparaison,
La Sultan aussitôt ordonne
Que de sa part son Trésorier lui donne
De l'or, des habits à foison.
Les va-t-il conserver ? Oh non ;
Le Tavernier qui le rançonne
Coule bientôt la bourse à fond,
Et revoilà notre ivrogne à l'aumône.
L'argent entre les mains d'un gueux,
Dit l'Auteur qui me sert de Guide,
La patience au cœur d'un amoureux,
L'eau dans un crible, ont un penchant rapide ;
Tout cela fuit en un instant ou deux.
Le Sultan qui le voit sitôt dans l'indigence,
S'indigne et veut qu'on l'ôte de ses yeux.
Mais son Vizir judicieux
Lui fait suspendre l'ordonnance.
Prince, dit-il, il vaudrait mieux penser
A profiter de l'aventure ;
Aux indigents donnez avec mesure,
Mais gardez-vous de les chasser.

Fables orientales, fable 20




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