Le Roi Pêcheur Antoine Bret (1717 - 1792)

Sur les rives du Tigre, une ligne à la main,
Un Calife pêchait avec son Médecin.
La ficelle en vingt lieux tour à tour est portée,
Pas un goujon, pas le moindre fretin.
Et son amorce est rebutée :
Il s'en prend à son compagnon.
Sans toi, dit-il, je verrais à ma ligne
Pendre la Truite ou le Saumon ;
Retire toi, tu me portes guignon ;
C'est ton influence maligne
Qui fait éloigner le poisson,
O des croyants Auguste maître !
Reprend le Docteur aussitôt
Tu dis ce qui ne saurait être,
L'infortune n'est point mon lot ;
D'un Bourgeois, d'un esclave, il est vrai, je tiens l'être
Mais je devins l'ami de quatre Souverains,
Je partagerai leurs plaisirs, les festins,
Et mes biens font assez paraître
Que j'ai près d'eaux gouté d'heureux destins.
Mais permets-tu qu'on te fasse connaître
Un homme vraiment malheureux ?
Je le permets et je le veux,
Dit le Sultan, je vais te satisfaire,
Reprend le Docteur vertueux
C'est un mortel favorisé des cieux,
Qui n'eut que des Sultans pour aïeux et pour père
Qui se trouva Sultan comme eux,
Qui négligeant sa grandeur Souveraine
Et le plaisir de faire des heureux,
Dans une hutte et peu sûre et mal saine,
Du plus indigent Journalier,
Se plaît, avec beaucoup de peine,
A faire le triste métier.

Fables orientales, fable 13




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