Deux grillons bourgeois d’une ville,
Avoient élu pour domicile
D’un magistrat le spacieux palais.
Hôtes du même lieu, sans pourtant se connaître,
L’un logeait en seigneur au cabinet du maître ;
L’autre dans l’antichambre habitait en laquais,
Un jour jasmin grillon sort de sa cheminée ;
Trotte de chambre en chambre, et faisant sa tournée,
Arrive au cabinet ; entend l’autre grillon.
Bon jour, frère, dit-il. Bon jour, répondit l’autre.
Votre serviteur. Moi le vôtre.
Mettez-vous là, dit l’un. L’autre, point de façon ;
Traitez-moi comme ami ; je suis de la maison.
Je vis dans l’antichambre, où de mainte partie
Monseigneur reçoit les placets ;
Qu’il est sage et qu’il m’édifie !
Désintéressement, équité, modestie,
Il a tout : c’est plaisir que d’avoir des procès.
Bon droit avec tel juge est bien sûr du succès.
Tu te trompes, l’ami ; ce n’est pas là mon maitre,
Dit messire grillon. Je le connais bien mieux.

Toi, tu le prends là-bas, pour ce qu’il veut paraître ;
Ici je le vois tel que le sort l’a fait naître.
Pour les riches, des mains ; pour les belles, des yeux ;
Pour les puissants, égards et tours officieux ;
Voilà tout le code du traître.
N’en sois donc plus la dupe ; et laisse le commun
S’abuser à la mascarade.
Ne confondons rien, camarade.
Distinguons deux hommes en un :
L’homme secret, et l’homme de parade.

Livre II, fable 19






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