Qu'est-ce donc que le bon vieux temps ?
Demandait un jeune homme à son vieux grand-père,
Vous devez le savoir, à quatre-vingt-dix ans !
Je vais, mon fils, te satisfaire.
Commençons par le définir.
C'est ce bon temps, qui laisse en souvenir,
Ce qui fut bon, loyal, aimable :
Où l'honneur, en tous points, n'était pas une fable ;
Où l'on aimait, comme soi, son prochain ;
Où la jeunesse ignorait le chemin
Qui mène au cabaret, la perdition des âmes ;
Où la vertu régnait au cœur des femmes,
Et non pas cet oubli de la chaste pudeur,
Qui blesse la décence et compromet l'honneur ;
Où, quand la fille, alors si rarement séduite,
Mourait, la rougeur sur le front,
Quand, du doigt, le démon
Mollirait, en ricanant, sa coupable conduite ;
Où l'on ne disait point, on offrant ses garçons :
De combien dotez-vous la fille en mariage ?
— Cent mille francs — c'est un enfantillage ;
Ce n'est point pour payer ses robes, ses jupons ;
— Mais elle a du savoir, cela passe richesse ;
Elle est jeune, elle a des vertus,
Elle a même de la noblesse.
— Tout cela, niaiserie, il nous faut des écus
Tu rencontres souvent une noble comtesse,
Si gracieuse à soixante et quinze ans,
Pleine d'aménité, d'exquise politesse,
Qui le rend ton salut ; voilà le bon vieux temps.
N'as-tu pas remarqué ce jeune homme à l'église ?
Comme il est distingué parmi les jeunes gens !
C'est un fils d'ouvrier, on le voit à sa mise ;
C'est encor là du bon vieux temps.
Le bon vieux temps n'eut jamais de vieillesse,
Il est toujours dans sa jeunesse ;
De celui d'aujourd'hui, l'on dira dans cent ans :
C'était le bon vieux temps.
Honorer Dieu toute sa vie,
Être bon, généreux, fuir les mauvais penchants,
Bien servir sa patrie,
Voilà, mon fils, le bon vieux temps.
Puissions-nous mériter en dix-huit cent soixante
Et mémo encor l'année suivante,
Qu'on dise de nous dans mille ans :
C'était alors le bon vieux temps.