Côte à côte attachés dans la même écurie,
Deux Chevaux devisaient sur leur triste destin.
— « Que l’homme, à notre égard, montre de barbarie !
Disait l’un d’eux avec chagrin :
» Jour et nuit, au grand trot, sans garder de mesure,
» On nous force à traîner une lourde voiture
» Qu’on nomme diligence ; et pour peu que Grégoire,
» Notre barbare conducteur,
» D’un bénévole voyageur
» Reçoive quelque gros pour-boire,
» Oh ! dans ce cas, de tous côtés les coups,
» Comme grêle, pleuvent sur nous ;
» Il appelle cela bien gagner notre avoine !…
» Que n’est-il le cheval, et moi le postillon
» Une heure seulement ! L’âne de maître Antoine,
» Que l’on mène au moulin à grands coups de bâton,
» Auprès de nous, vit en chanoine :
» Contraint pendant le jour à de rudes travaux,
» Il peut du moins la nuit se livrer au repos. »

— « Mon camarade, un peu de patience.
» Reprit l’autre Cheval, nos malheurs vont finir ;
» Car le chemin de fer que l’on doit établir
» Détrônera bientôt la diligence.
» Pour l’homme, désormais, sans nulle utilité,
» Dégagés des liens d’un affreux esclavage,
» Nous irons nous fixer dans un gras pâturage,
» Loin de nos ennemis, en pleine liberté… »
Hélas ! d’un fol espoir trop souvent on se berce.
Tout ne se passa pas comme il l’avait prédit :
Quand le chemin de fer se fit,
Dans une roule de traverse
On transféra les deux pauvres chevaux.
Au milieu de bourbiers, d’ornières, de cahots,
Suant, soufflant, succombant à la peine.
Ils en vinrent à regretter
Le temps passé, trouvant que leur dernière chaîne
Plus que l’autre cent fois était rude à porter.





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