Le Conseil des Chevaux John Gay (1685 - 1732)

Un jeune coursier plein d'ardeur
Hennissant de sa forte haleine,
Mit en rébellion la plaine,
En se posant un jour en grand agitateur.
Le conseil des Chevaux soudain à sa requête
S'assemble pour faire une enquête.
Alors, lui, le Cheval fougueux
Dont l'œil flamboyait de colère,
S'avança vivement et d'un air belliqueux
A tous lança cette parole amère :

"Tu-Dieu ! " dit-il," à quel abaissement
Sommes- nous condamnés ! qu' abjecte est notre race !
Sommes-nous destinés à l'asservissement
Parce que nos ayeux en ont eu la disgrâce ?
Vous avez, mes amis, la force et le pouvoir,
Reconquérir ses droits est le plus saint devoir,
Trainer le char doré d'un Marquis ou d'un Comte
N'est-ce pas vil ?-L'orgueil de l'homme est notre honte.
Etions-nous destinés au travail journalier,
Au soc de la charrue, au dur fouet du bouvier?
Suer dans un harnais est- ce si belle chose,
Cela rend-il la vie un peu couleur de rose ?
L'homme a deux pieds, non quatre, est-il donc votre égal ?
L'homme est faible en un mot, et fort est le cheval,
Et vous lui soumettez votre noble mâchoire !
Vous rongez votre frein? ... C'est à ne pas y croire!
Comment ! l'homme hautain enjamberait mon dos,
Sọn éperon aigu détruirait mon repos ?
Le ciel m'épargne un tel outrage !
Pour rejeter le joug, retrouver le courage,
Que l'homme tout d'abord maîtrise le Lion,
Qu'il amène le Tigre à composition :
Nous réclamons nos droits, arrière le servage !
Qu'il tremble à notre nom !..."

A ce ferme langage,
Tout le cercle hennit ; preuve que l'argument
Lui semblait mériter long applaudissement.
Quand voilà que d'un pas et solennel et grave,
Un vieux Coursier s'en vint haranguer le conclave.
Il jette autour de lui ses regards de Nestor,
Et puis à sa pensée il donne ainsi l'essor :
" Quand j'étais jeune et fort j'ai travaillé les plaines
Avec l'homme, et pris part à ses nombreux labeurs ;
Aujourd'hui je suis vieux, pour prix de mes sueurs,
L'homme reconnaissant de ces vastes domaines
Me donne jouissance, et moi je broute en paix
Les produits de l'année, et ne chôme jamais .
J'accorde avec vous tous que nous donnons à l'homme
Nos forces au labour, et même à l'hippodrome,
Mais dans tous les travaux il partage nos soins ;
Nous construit des hangars, pourvoit à nos besoins ;
Il supporte en été le chaud de la journée,
Pour amasser le foin, l'hiver notre dinée,
Il sème, il récolte le grain,
Et toujours avec lui nous partageons le gain.
Croyez-moi, mes amis, le vœu de la nature,
Est ici-bas que chaque créature
S'entr'aide en ses besoins ; suivons notre destin,
Et du Ciel remplissons la fin. ”

Ce discours du débat amena la clôture,
Le tumulte cessa ; le Poulain belliqueux
Fut embouché tout comme ses ayeux.

Livre I, fable 43




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