Le Bon La Fontaine aux Enfers Auguste Rigaud (1760 - 1835)

Aimez-vous les contes en vers?
Eh bien ! écoutez une histoire,
Que j’ai lue en un vieux grimoire,
Fraîchement venu des enfers.
Tel jour, tel an, maître Jean La Fontaine
A comparu devant la cour ,
Pour rendre compte du séjour
Qu’il a fait chez la race humaine.
Le fabuliste approche et dit : Sire démon ,
J’ai besoin d’indulgence, et je crains la justice.
Avant ma mort pourtant j’ai fait mon oraison,
Et croyez ce qu’à dit ma vieille Madelon,
Que si j’ai fait du mal je l’ai fait sans malice;
Sur le sexe un tant et je me suis égayé,
Et quelque peu, je crois, j’ai négligé ma femme;
Car naguère on m’a dit que j’étais marié.
Mais je vous jure sur mon âme,
Que je l’avais tout à fait oublié!
Proserpine sourit, et l’on voit la balance
Du sombre tribunal pencher vers la clémence.
Mais un essaim d’accusateurs,
Médisants, calomniateurs,
Arrive et fond sur le pauvre homme.
Ils étaient si nombreux (la graine des pervers
N’est pas rare dans les enfers),
Ils étaient si nombreux, que l’on ne savait comme
Les placer, les entendre tous.
Les chats et les renards, les lions et les loups Hurlaient :
sage Minos, dans ta juste colère,
Tu dois punir d’une façon sévère Le Bon
Un vrai tartuffe, un archi-patelin,
Qui, sous un air tout débonnaire,
Fait le mal et cache la main ;
Qui va criant jusques aux nues;
Que nous tous, braves gens, dont les mœurs sont connues,
Volons, ravissons et mangeons
Fromages, poules et moutons!
Ah! si dans le tartare il est quelque justice;
Il faut, il faut qu’on le punisse !
Quand les bêtes eurent parlé,
Les humains, à leur tour, obtinrent audience.
Mais le bonhomme fut encor plus harcelé,
Accusé, houspillé par notre sotte engeance ;
Les avares, les fous, les jaloux, les hargneux ;
Et le froid égoïste, et le riche orgueilleux,
Et le tyran cruel vont l’accusant en masse :
Il ne mérite point de grâce,
Le traître a dévoilé nos vices, nos défauts;
Certes il est coupable, et digne de tous maux.
Enfin l’on voit paraître, ajoute le grimoire,
Un puissant potentat :
Le prévenu, dit-il, voulut ternir ma gloire,
Peut-être aussi troubler, bouleverser l’état,
En disant, je ne sais dans quelle rapsodie,
Que les dieux et les rois mettent quoi qu‘on leur die ;
Tout en même catégorie.
Minos, mon cher cousin, sois juste, je t’en prie ;
Et pour l’honneur du corps, punis cet attentat.
Le fablier reprend : Ah ! messieurs, quel éclat !
Sans doute il faut des rois redouter la colère,
Comme nous l’a dit Salomon;
Mais ne pourrais-je point obtenir mon pardon?
Voyez mon repentir sincère.
J’ai, très-mal à propos, dévoilé les secrets
De vos cœurs et de vos palais.
Ah! si jamais je reviens sur la terre,
Je jure ici, mes grands dieux, de me taire !
Sur mes intentions vous devez me juger.:
J’ai fait le mal sans y songer.
Allez, mon philosophe aimable;
Lui dit Minos d’un air affable,
Ne vous repentez de rien ;
Ce que vous avez fait est bien.
Vous allez voir dans le Tartare
La belle fête qu’on prépare
A tous ces méchants garnements
Que n’ont pu corriger vos bons enseignements
— Seigneur, épargnez à ma vue,
Le supplice des malheureux.
Sans soulager leurs maux je souffrirais comme eux.
— Eh bien ! reprend Minos, allez trouver Molière,
Qui se promène en ces bosquets
Avec le bon Esope et maître Rabelais.
— J’y cours, seigneur. Ah ! désormais
Je vais philosopher, dormir et ne rien faire :
Mes chers enfants, en quoi peut nous servir
Notre historiette infernale?
Elle nous dit qu’il faut, dussions-nous en souffrir,
Faire le bien, prêcher une bonne morale.
Que si le monde ingrat nous juge injustement,
Il est des dieux qui jugent autrement.





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