Plus pour soi-même on est rigide,
Plus on devient indulgent pour autrui.
On ne voit plus guère aujourd'hui :
D'anachorète au teint pâle et livide/
De Cilice couvert, de racines vivant,
Rigoureux, raide à tout venant.-
Mais on rencontre encor de pieux personnages ;
Avec fidélité suivant
Et la lettre et l'esprit de ces divines pages
Qui sont les guides dû chrétien.
J'en connus un, homme rare, vrai sage ;
De son avoir, au pauvre-ayant fait le partage,
Ne s'étant réservé qu'un petit ermitage,
Il y fait encore le bien ;
Car à lui recourt maint village,
Comme avocat ou médecin..
Pour fruit de mainte conférence,'
De tous les pasteurs ses voisins
Il obtint qu'on permît la danse ;
Après, bien entendu, les offices divins,
Et des parents surtout en la présence.
Dans les cabarets, dans les bois,
Vos jeunes gens, dit-il, s'exposent davantage 1
Entre deux maux est-on réduit au choix,
Souffrir le moindre est le plus sage.
Ainsi de tolérance il donne des leçons :
Quand à lui, des privations
De la. plus rude pénitence
Il se nourrit. Surpris de l'indulgence
Qu'il a pour les faibles d'autrui,
Tandis qu'il est si rigoureux pour, lui,
Quelqu'un lui demandait d'expliquer ce problème.
Le cœur humain, répond-il, de lui-même
Est enclin à la volupté.
Pour lui faire trouver la vertu préférable,
Obtempérons d'abord à sa fragilité.
Pour lui faire goûter la simple vérité,
Il faut la déguiser sous un dehors aimable.
Si je trouve aujourd'hui son charme délectable,
Je sais d'efforts ce qu'il m'en a coûté.

Ce sage n'était pas ennemi de la fable.

Livre II, Fable 4




Commentaires