Moufflard presque ignorant Bourgeois-Guillon (19è siècle)

Depuis deux mois, au grand château voisin,
Toujours sans maître, notre chien
Avait sa pitance ordinaire.
C'était bien peu de chose-; mais enfin
C'était assez pour lui sauver la faim.
Tranquille aussi sur cette affaire,
De nulle autre Moufllard ne prend le moindre soin.
Auprès de la borne, en son coin,
Tant bien que mal, il rumine, il digère,
Il végélaille, il philosophe, enfin
Il se façonne à son triste destin :
Lorsque, sans réfléchir, sans doute, à sa misère,
Au château, sans plus de façon,
On lui supprime la pitance.
Eh quoi ! dit-il, sans rime, ni raison !
Fallait du moins me prévenir d'avance ;
J'aurais ailleurs cherché; pensent-ils donc, ces grands !
Que leur morceau de pain vous met dans l'abondance,
Et le voilà de la reconnaissance
Tout prêt à secouer les chaînons, trop pesans.
Voilà Moufllard qui grogne, qui murmure,
Les maux qu'il sent le plus ce sont les maux présens.
Le bienfait supprimé lui devient presqu'injure..

Que voulez-vous, ainsi dans la nature
Sont faits les cœurs des bêtes et des gens.

Livre III, Fable 18




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